L’affaire des poisons : nous sommes dans les années 1680, à l’apogée du règne d’un certain Louis XIV, souverain solaire et tout-puissant dont le pouvoir absolu est soudainement obscurci par un scandale particulièrement sordide qui éclaboussera jusqu’aux marches de son trône. Soit un réseau particulièrement opaque et fourni de sorcières avorteuses et d’empoisonneurs satanistes, opérant dans la capitale sous le nez des autorités pour délivrer philtres d’amour, envoûtements et poudres de succession aux membres de la jet set d’alors… et parmi eux la propre favorite du monarque, Mme de Montespan.
Tout bousiller et sans faire dans la dentelle
Favorite qui y laissera sa réputation, perdra son rang de courtisane en titre et finira honnie de tous. À tort ou à raison, difficile à déterminer, au vu de la prolifique littérature produite au fil des ans pour tenter d’élucider un mystère que le Roi-Soleil s’empresersa de repousser dans l’ombre à grand coup de lettres de cachet, quand ses enquêteurs mettront au jour la très probable implication, outre de sa maîtresse, de plusieurs membres éminents de sa propre Cour. Du coup, l’énigme demeure, qui inspirera également moult séries et films, dont l’excellent L’Affaire des poisons.
Ce petit chef-d’œuvre réalisé par Henri Decoin date certes de 1955, mais par plusieurs côtés, il se connecte avec la série netflixienne de Samuel Bodin Marianne. Déjà car l’armada de sorcières et de suppôts de Satan évoqués par Decoin n’ont absolument rien de sympathique, et se définissent par une très nette volonté de tout bousiller et sans faire dans la dentelle. Avortements, nécromancie, messes noires, rapts et meurtres de nouveau-nés, profanations en tout genre, si rien ne nous est montré (on est en 1955), tout est suggéré et ce n’est pas pour calmer l’imaginaire du spectateur, loin s’en faut.
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Le démoniaque à l’œuvre
On soulignera par ailleurs la prestation de Viviane Romance qui endosse l’identité de l’empoisonneuse en chef, la Voisin, en soulignant bien sa très profonde corruption… et son sens inné du business. Autour d’elle, l’abbé Guibourg, adepte de Lucifer, prend le visage impassible et les intonations métalliques de Paul Meurisse. Empêtrée dans leurs filets comme dans sa jalousie, Mme de Montespan affiche le sourire contraint d’une Danielle Darrieux au sommet de sa beauté et de son art. Pour les démasquer, Pierre Mondy incarne le Capitaine Desgrez.
Bref, une affiche somptueuse pour un film old school dans les couleurs (technicolor of course), les angles de vue et les décors certes, mais qui se singularise par son ancrage dans la vérité des archives (l’intro insiste bien sur ce point très vendeur), une bande originale prenante signée René Cloërec… et cette approche du démoniaque à l’œuvre dans les esprits faibles ou intéressés. Il est évident que ceux qui ne jurent que par la franchise Conjuring et AHS trouveront la chose désuète, mais elle a au moins le mérite d’introduire un profil de sorcière aussi intéressant et dévastateur que celui de la série Marianne. Ce n’est pas rien. C’est même beaucoup !