21 février 1944 : l’ensemble du groupe Manouchian est liquidé par les nazis au Mont-Valérien. Ce destin tragique restera dans les mémoires via la tristement célèbre affiche rouge immortalisée par Aragon : les Allemands la placardent dans tout Paris au moment du massacre pour dénoncer les actes de terrorisme commis par ces résistants. S’inspirant d’une des expressions imprimées sur cette affiche, Robert Guediguian tourne L’Armée du crime en 2009 pour raconter le parcours de Missak Manouchian et ses amis.
Défendre ses convictions et sa terre d’accueil
Car c’est une histoire d’amitié que le réalisateur déroule en deux heures dix de récit. D’amitié, d’amour, de valeurs, de rigueur. Comment devient-on résistant ? En 1969, Melville s’était penché sur le quotidien de L’Armée des ombres, dans une œuvre absolument sidérante de justesse et de profondeur. Ici, c’est l’émergence du sentiment de résistance qui est approché, la prise de conscience, le désir d’agir, par la violence au besoin, la colère qu’il faut dompter si l’on veut devenir efficace tout en restant juste.
Investi progressivement dans les FTP-MOI, Francs-tireurs et partisans – Main-d’œuvre immigrée de Paris, Manouchian, d’origine arménienne, fédère autour de lui des Italiens, des Espagnols qui ont fui le régime de Franco, des juifs, des Roumains, des Hongrois, communistes et d’origine étrangère, mais qui veulent défendre leurs convictions et leur terre d’accueil face à l’envahisseur. Il en canalise l’énergie, cadre les rancœurs, et mène ainsi une trentaine d’opérations, avant que tous soient raflés, torturés puis finalement condamnés à mort.
S’improviser guerrier
Construisant son film autour de l’interprétation d’un Simon Abkarian charismatique et humain, Guédiguian convoque ses acteurs fétiches, Jean-Pierre Daroussin ou Ariane Askaride, en plus de Robinson Stevenin ou Virginie Ledoyen, pour évoquer cette douloureuse et belle histoire, avec la simplicité, la clarté qu’on lui connaît. Pas de grands passages d’éloquence, ni de séquences spectaculaires, le propos est concentré sur la manière dont ces individus vont harmoniser banalité et combat au quotidien.
D’aucuns ont reproché au réalisateur son manque d’exactitude historique, la liberté prise avec les faits. Mais ce n’est pas la vocation première de L’Armée du crime, dont le titre, ironiquement, confronte la volonté nazie de noircir ces hommes et le point de vue d’être humain de Manouchian et son entourage, obligés par les circonstances de s’improviser guerriers et tueurs en dépit de leur conscience, sachant pertinemment ce qui les attend s’ils se font arrêter, mais prêts à en subir les circonstances malgré tout, et le sourire aux lèvres s’il le faut.
De ce point de vue, L’Armée du crime est à rapprocher du très bon film Anthropoïd, dédié à l’histoire du commando qui exécuta le général SS Heydrich, à la source de l’extermination des juifs. Il interroge par ailleurs la marge d’action de l’artiste par rapport au récit de l’Histoire. L’exactitude scientifique doit-elle primer par rapport à la restitution de l’émotion, du positionnement de l’homme face à des événements exceptionnels avec lesquels il doit composer ? Ou bien l’art a-t-il pour objectif de s’approprier cette part de sensibilité et d’affect que la science doit laisser à l’écart ? La problématique demeure, sans réponse, hormis celle de garder la mémoire de ces individus, héros malgré eux, par les livres, les documentaires, la fiction.