1945 : Berlin ploie sous les bombes russes. Le IIIeme Reich vit ses derniers instants, mais, reclus dans son bunker, Hitler refuse l’évidence, tout comme son entourage proche. Quand enfin, il admet l’inéluctable, il sera trop tard pour fuir. Reste la capture ou la mort ; ça sera la mort. Voici le pitch de La Chute, initialement Der Untergang. Film ô combien redoutable, tourné en 2004, mais qui, à chaque visionnage, n’en finit pas de réveiller des spectres abominables de la barbarie, pour le meilleur comme pour le pire.
Le scénario, chronologique, s’appuie sur l’ouvrage Les Derniers Jours de Hitler de l’historien Joachim Fest et sur les mémoires de Traudl Junge Jusqu’à la dernière heure : la dernière secrétaire d’Hitler, pour relater les derniers moments du dictateur au cœur d’une capitale en ruines, devenue complètement folle : on y voit les corps s’amonceler sous les décombres tandis que le peu de troupes qui reste tente d’endiguer l’avancée soviétique, des commandos exécuter ceux qui veulent se rendre, des enfants de 13 ans recevoir la croix de fer et jouer à la guerre avant de se tuer, des officiers nazis s’étourdir de drogue, d’alcool et de sexe en attendant la mort, tandis que d’autres envisagent la meilleure façon de se suicider. Moment le plus dément de cette infernale débandade : Magda Goebbels, refusant de voir ses enfants vivre dans un monde sans nazisme, les assassine impitoyablement dans leur sommeil.
Un des passages les plus pénibles du film de Oliver Hirschbiegel, qui reprend les principales réflexions de L’Expérience pour les appliquer à ce huis-clos étouffant, où certains cherchent à survivre coûte que coûte quand d’autres s’abandonnent aux ténèbres avec délectation. Filmant caméra à l’épaule, privilégiant l’éclairage naturel, Hirschbiegel saisit un drame humain dans ce qu’il a de plus violent et de plus absurde. Après avoir liquidé six millions de juifs, exterminé handicapés, artistes, opposants politiques, contrôlé l’Europe dans la violence la plus totale, Hitler et ses sbires arrivent au bout de l’impasse qu’ils ont eux-même érigée. Et leur fanatisme nous saute alors aux yeux, d’autant plus brutalement que leur comportement est souvent affable, civilisé, presque tendre, surtout quand ils tuent leurs proches avant de mettre fin à leurs jours, pour échapper au couperet qui va immanquablement tomber.
Plébiscité dés sa sortie avec plus de 100 000 spectateurs au premier jour de sa diffusion en salle, La Chute prévaut par cette incohérence mise à jour et qui en dit long sur les dérives possibles de l’humanité. La gentillesse d’Hitler, ici incarné par un Bruno Ganz absolument sidérant, en a choqué plus d’un, dans la crainte que ce visage trop doux ne gomme les crimes commis. Au contraire, cette prévenance, régulièrement assombrie par des crises de rage épouvantables, fait partie du profil, soulignant le psychopathe qui sommeille, capable de proférer des horreurs, prêt à sacrifier ce peuple dont il a voulu assurer la survie au prix de millions de vies. Nous ne le voyons pas mourir à l’écran, et pour cause, personne n’a assisté à ses derniers instants, hormis Eva Braun qui l’a suivi dans la tombe. Ce fou furieux est mort seul, entraînant son monde avec lui. Au final, c’est son égoïsme, son étroitesse d’esprit, sa brutalité crasse qui ressortent, révélant sa petitesse, sa médiocrité.
Hirschbiegel joue de cette contradiction avec talent et un sens évident de la tragédie, essayant au passage de saisir comment un pays entier a pu suivre les pas de cet individu, comme d’autres s’abandonneraient à un gourou de secte. A aucun moment, le film ne cherche à excuser ou à amoindrir, au contraire le pandémonium qui accompagne les ultimes instants du Reich en dit long sur l’horreur des atrocités commises et qu’il va falloir payer : et chacun autour d’Hitler sait que l’addition sera lourde. Comme le dit Goebbels marchant à la mort avec son épouse infanticide : « les jeux sont faits ».
Et plus si affinités