Dupont Lajoie : un réquisitoire féroce contre le racisme

Dupont Lajoie : quand on évoque le racisme dans ce qu’il a de plus nauséabond, le film d’Yves Boisset s’impose immédiatement à l’esprit et pour cause. Cette œuvre cinématographique sans pitié constitue un réquisitoire féroce contre la bêtise et l’intolérance. À la fois choquant et profondément réaliste, ce récit daté de 1975 met en lumière les mécanismes insidieux du racisme ordinaire et l’hypocrisie sociale qui l’accompagne. Et son analyse demeure tragiquement d’actualité.

Crime atroce et ratonnade

Dupont Lajoie, c’est l’histoire d’un cafetier parisien (Jean Carmet), qui passe ses vacances d’été dans un camping du sud de la France. Lajoie est un personnage banal, un Français moyen, avec femme, fils, factures… et la quarantaine qui le travaille gravement sous ses airs de ne pas y toucher. La jolie petite Brigitte (Isabelle Huppert), la fille d’un de ses voisins de caravane, ne le laisse pas indifférent.

Un jour, il la surprend en train de bronzer dans les champs, tente de la séduire, elle le repousse, il la viole, la tue accidentellement tandis qu’elle se défend. Un crime atroce que Lajoie va cacher en accusant un travailleur immigré hébergé sur un chantier tout proche. À partir de là, c’est la curée, avec ratonnade et lynchage à la clé. Une mécanique de haine aveugle, alimentée par la colère, la connerie crasse, qu’un flic intègre (Jean Bouise) n’arrivera pas à endiguer.

La barbarie à l’œuvre

Yves Boisset, volontairement, impose là un récit d’une rare brutalité, d’une crudité sans nom. L’enchaînement de la barbarie à l’œuvre est d’autant plus insoutenable que nous sommes dans une ambiance de vacances, d’insouciance estivale qui invite à la concorde, au lâcher prise. Une leurre : sous les casquettes, la détestation fait son œuvre. Le meurtre de Brigitte sert d’allumette pour enflammer des esprits, échauffés par ailleurs par la présence des médias.

Ajoutant une tragédie à une autre, ce comportement de meute enragée donne à réfléchir, car il n’a rien de spontané. Il couve, il est là, larvé, émergeant au fil des remarques blessantes, des blagues les plus douteuses. Non pas l’apanage d’individus exceptionnellement haineux, mais d’une majorité silencieuse et complaisante, prompte à exiger un bouc-émissaire, et tant mieux s’il est l’Autre, le Bougnoule, le Bicot : ces gens-là sont des sauvages de toute façon, n’est-ce pas, ma bonne dame ?

Des opinions extrémistes dangereuses

Le véritable coupable court toujours ? Pas grave, on ne se pose même la question, on crache sur le travail d’investigation, les preuves. On préfère accuser l’étranger plutôt que de confronter ses propres démons. Les stéréotypes racistes ont la peau dure, surtout quand ils légitiment l’injustice, un ordre social inégal où certains pensent avoir plus de droits que d’autres. Dupont Lajoie explore cette peur irrationnelle de l’Autre, alimentée par l’ignorance et les préjugés, exploitée par des groupes qui cherchent à manipuler l’opinion publique pour leurs propres intérêts.

Boisset dissèque avec une justesse frappante l’hypocrisie des individus et des institutions qui se présentent comme respectables, mais abritent en réalité des opinions extrémistes dangereuses. Confrontés à la peur, envahis de colère, convaincus de l’insuffisance du pouvoir et de la police, les campeurs, qui prétendent tous être des citoyens modèles, vont révéler leur véritable nature de la plus terrible des manières.

Enclencher une prise de conscience

Une fiction ? Non. Le scénario s’inspire d’une série de meurtres racistes perpétrés sur une dizaine de victimes algériennes dans la région marseillaise durant l’année 1973. Boisset va avoir toutes les peines du monde pour obtenir les autorisations de tournage dans le Var. Son équipe de tournage fera régulièrement l’objet de menaces et d’agressions, essuiera des jets de cocktails Molotov. Un des comédiens sera même victime d’une tentative d’assassinat.

Le sujet ne plaît visiblement pas dans cette région où les nostalgiques de l’Algérie française sont légion. En critiquant violemment les discours de l’extrême droite qui exploitent la peur et la haine pour diviser la société, Boisset se retrouve lui-même au cœur de la tourmente, avant d’avoir à affronter les affres de la censure, révulsée par certaines séquences choc du film. Séquences nécessaires pourtant pour enclencher une prise de conscience collective. Prise de conscience qui amènera nombre de spectateurs à détester Jean Carmet pour ce rôle sulfureux, quitte à le menacer également.

Récapitulons : Dupont Lajoie reste une œuvre cinématographique majeure pour sa dénonciation sans concession du racisme ordinaire et des mécanismes de l’extrême droite. En exposant les hypocrisies et les lâchetés de ses personnages, Yves Boisset invite les spectateurs à réfléchir sur les fondements de leurs propres préjugés et sur la nécessité de lutter contre toutes les formes de discrimination. Le film demeure un réquisitoire puissant et nécessaire contre la bêtise humaine et l’injustice sociale. Un réquisitoire toujours d’actualité.

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Delphine Neimon

Posted by Delphine Neimon

Fondatrice, directrice, rédactrice en chef et rédactrice sur le webmagazine The ARTchemists, Delphine Neimon est par ailleurs rédactrice professionnelle, consultante et formatrice en communication. Son dada : créer des blogs professionnels. Sur The ARTchemists, outre l'administratif et la gestion du quotidien, elle s'occupe de politique, de société, de théâtre.

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