«Paris est tout petit pour ceux qui s’aiment comme nous d’un aussi grand amour» : à elle seul, cette réplique culte signée Jacques Prévert vaut le visionnage du film Les Enfants du Paradis. Le chef-d’œuvre de Marcel Carné est un incontournable à conserver dans sa vidéothèque certes (on ne peut se prétendre cinéphile sans l’avoir vu), mais c’est aussi et surtout un sommet de poésie, une histoire romantique et cruelle à la fois, un scénario comme on n’en fait plus.
Une valse amoureuse et tragique
Les enfants du paradis, c’est à la fois le public populaire du XIXe siècle, chahuteur, si prompt à la révolte, certes cantonné sous le plafond des théâtres du Boulevard du Crime mais fin connaisseur du théâtre, et les personnages qui vivent ici cette valse amoureuse tragique. Au cœur de toutes les convoitises, la belle, insaisissable Garance incarnée par une Arletty diaphane.
Courtisée par le fringant comédien Frédéric Lemaître (Pierre Brasseur), le brigand cynique Lacenaire (Marcel Herrand), l’élégant comte de Montray (Louis Salou), c’est pourtant au célèbre mime Debureau (Jean-Louis Barreau) qu’elle a donné son cœur. Mais leur amour, s’il est absolu, s’avère impossible. Toujours, il leur échappe. Parce que trop fort, trop inconditionnel ? Parce que Debureau a épousé Nathalie (Maria Casarès) ? Parce que Garance n’est pas faite pour rester ?
Écorchés vifs
Prévert et Carné, complices depuis le tournage du magnifique Les Visiteurs du soir en 1942, se gardent bien d’apporter une réponse et c’est ce qui fait la beauté de ce chassé-croisé amoureux voué à la tragédie des affects et des consciences. Car chaque personnage de ce triste et merveilleux vaudeville est un écorché vif, en quête qui de perfection, qui de domination, qui de vengeance, qui de reconnaissance.
Des caractères tout droit échappés d’une pièce de Musset ou de Cocteau peut-être ? Visages, regards, attitudes, filmés dans un N/B neigé et ombré à la délicatesse irisée, les acteurs font ressortir les nuances de ces consciences abîmées jusque dans leurs silences : leur demande de rédemption, de perfection, d’un peu de bonheur au paradis des hommes n’en est que plus puissante, plus universelle.
Le monde des planches
Et puis il y a le théâtre. Les Enfants du paradis est une déclaration d’amour au monde des planches, à l’art dramatique tel qu’il régnait durant la Restauration. Pantomime, mélodrame, bateleurs, carnaval, l’évocation du boulevard du Temple et de son quotidien, est d’un grand réalisme, dynamisé par une foule de figurants, une recherche dans les costumes, les décors signés Mayo.
On y voit l’émergence de deux monstres sacrés des planches, Debureau l’introverti et Lemaître l’expansif, qui vont à eux seuls repenser la manière de jouer, le travail de l’acteur. La restitution est fidèle, jusque dans les références aux rivalités entre familles d’acteurs, aux différents modes de censure, à l’atmosphère des coulisses et de la salle.
Un exploit cinématographique
Le film en lui-même tient de l’exploit. Tourné à partir de 1943 en pleine Occupation, il connaîtra plusieurs péripéties, entre bombardements, manque de pellicule et de tissus (Jeanne Lanvin fournira les étoffes nécessaires à la confection des costumes), l’avortement d’Arletty, la fuite de Le Vigan à Sigmaringen au moment de la Libération.
Avec un budget de 55 millions de francs, 205 minutes de film réparties en deux épisodes, une nomination aux Oscars dans la catégorie « Scénario original », c’est un véritable blockbuster avant la lettre (4.7 millions de spectateurs en France, 54 semaines en salle en exclusivité, 41 millions de francs de recettes) que ce film unique en son genre.
Ce film, tourné dans les années 40, demeure pertinent aujourd’hui parce qu’il aborde des thèmes universels : l’amour, la jalousie, le destin, la quête d’identité… Des sujets qui touchent toutes les générations, au-delà des époques et des frontières. De plus, la beauté visuelle des séquences continue de fasciner des spectateurs encore et toujours éblouis. C’est une œuvre qui, à chaque visionnage, offre de nouvelles découvertes, de nouvelles émotions, un véritable trésor culturel, un morceau d’histoire, une invitation à rêver, à ressentir, à réfléchir.
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