Décidément, le personnage d’Escobar devient un incontournable dans une carrière d’acteur. Après Benitio del Toro et Wagner Moura, c’est Javier Bardem qui relève le gang, avec le talent qu’on lui connaît, et une volonté farouche : il portait ce projet de film depuis une vingtaine d’années, et c’est avec délectation qu’il endosse ce rôle monumental.Pour lui donner la réplique, Pénélope Cruz, sa compagne à la ville, interprète Virginia Vallejo, une journaliste colombienne qui fut la maîtresse du baron de la drogue cinq ans durant… et faillit bien y laisser sa peau.
Escobar : folie de pouvoir et dommages collatéraux
Virginia relate cette véritable épopée dans le livre Loving Pablo, hating Escobar qui sert de socle au scénario du film. Tout y est raconté du point de vue de cette femme visiblement fascinée, très vite séduite, témoin de la naissance et de l’apogée du cartel de Medellín, puis de sa chute. Une chute qui faillit bien l’emporter : amante affichée d’Escobar, la dame finit par perdre son travail, fut blacklistée de partout. Elle fut bien évidemment menacée physiquement.
Elle ne dut finalement son salut qu’à la DEA auprès de laquelle elle obtint protection. C’est justement ce témoignage qui fait la saveur d’un film dont l’histoire a été ressassée au travers de plusieurs documentaires et séries dont l’incontournable Narcos. Avec Escobar, on comprend mieux les dommages collatéraux engendrés par la folie du trafiquant, comment son appétit de pouvoir, son égocentrisme auront des retombées effrayantes pour son entourage proche.
Un trophée dans une mer de sang
On saisit par ailleurs la banalisation du phénomène à ses débuts ; dans ce pays misérable, l’argent d’Escobar éblouit, et l’attirance de Virginia la parvenue n’est qu’un signe parmi d’autres de cet aveuglement qui finira dans une mer de sang. La dame est du reste charmée par un Escobar qui compte bien l’afficher comme un trophée supplémentaire de sa réussite sociale.
Et n’entend pas se laisser mener par le bout du nez. S’il arrose sa maîtresse d’argent, c’est pour en faire une devanture à la mode de son pouvoir, pour se servir de sa renommée à des fins politiques. Si la menace se rapproche, il se durcit, fait pression, offrant un flingue à la belle en plein restaurant avec ordre de se suicider si jamais elle est prise par ses ennemis, qui n’hésiteront pas à la torturer.
Paradise lost : l’enfer d’Escobar est pavé de bonnes intentions
Deux heures haletantes
La séquence est d’une rare brutalité dans les propos et l’attitude, et à ce petit jeu, Javier Bardem excelle, lui qui s’est métamorphosé pour endosser le personnage, s’inspirant de l’hippopotame, animal fétiche d’Escobar, pour dicter un jeu très animal et d’une rare ambiguïté. Face à lui, Pénélope Cruz plante une Virginia faussement futile, qui découvre doucement l’ampleur du pétrin où elle a mis les pieds.
On en prend donc pour deux heures haletantes, qui synthétisent cette course à l’abîme de manière magistrale, sous la direction énergique de Fernando León de Aranoa. Les spécialistes auront un sentiment de déjà vu, les amateurs adoreront, les néophytes prendront ce récit en pleine tête. Dans tous les cas, on n’est absolument pas déçu par cette lecture intimiste particulièrement révélatrice.
Et plus si affinités