Sorti en 2017, ce film de Guillermo del Toro, multiprimé, remporte tous les suffrages, à raison. C’est que La Forme de l’eau a tout du conte universel, croisant l’histoire d’amour éternel et la critique de la monstruosité humaine dans un récit d’une esthétique enchanteresse.
Deux êtres rejetés par la société
Trouvée dans une rivière quand elle était bébé, Elisa Esposito est muette, orpheline et femme de ménage. Rien de bien palpitant si ce n’est qu’elle travaille dans un complexe militaire où se terrent bien des secrets gouvernementaux. Nous sommes dans les années 60, en pleine Guerre Froide, et la rivalité entre USA et URSS bat son plein. Tous les coups sont permis, toutes les méthodes employées même (surtout) les plus violentes, les plus barbares. C’est ainsi qu’Elisa rencontre un jour une étrange créature enfermée là sous prétexte d’expérimentation.
Ce mystérieux homme-poisson que son geôlier, l’ignoble colonel Strickland, ne cesse de torturer sous prétexte qu’il est une sous-créature, Elisa va s’en faire un ami… et plus si affinités ? Tandis que l’attirance croît entre ces deux êtres rejetés par la société, la menace s’intensifie : tous veulent la peau de ce prétendu monstre, l’armée américaine comme les espions russes. Elisa va alors tout faire pour le protéger, lui rendre sa liberté, avec l’aide d’une collègue afro-américaine, d’un vieux publicitaire homosexuel et d’un scientifique soviétique infiltré.
Une précision quasi maniaque
Chacun à sa façon est victime de la ségrégation à l’œuvre dans des systèmes impérialistes avides de pouvoir. Face aux mâles dominants qui servent de chiens de garde à une société patriarcale écrasant sans pitié ceux qu’elle considère comme déviants, la handicapée, la femme de couleur, l’homosexuel et l’intellectuel font corps autour de cet être amphibien incarnant les forces irréductibles de la nature. Le danger ici, c’est le mâle hétéro qui se veut un modèle de perfection et de domination, en fait vicieux, lâche et brutal, réduit à une perception simpliste des choses.
Chacun de ces personnages a été créé avec un acteur précis en tête ; le casting n’est donc pas un hasard. Sally Hawkins, Doug Jones, Michael Shannon, Richard Jenkins, Octavia Spencer, Michael Stuhlbarg, tous ont joué le jeu avec une précision quasi maniaque et beaucoup de conviction, qui apprenant la langue des signes, qui le russe… Le costume de l’homme amphibien a été créé en s’inspirant de la peau de certains poissons, sa manière de manger évoque la rascasse volante, ses gestes évoquent ceux des nageurs olympiques, la manière de se mouvoir de certains requins.
Un véritable bijou esthétique
L’ensemble du film est un véritable bijou esthétique. En charge des lumières et de la photographie, Dan Lautsen détermine une atmosphère tout en nuances verdâtres striées d’ocre particulièrement hypnotique. Les décors sont particulièrement travaillés, en témoignent les murs de l’appartement d’Elisa ornés de motifs inspirés d’Hokusai. La musique joue un rôle essentiel ainsi que le cinéma : les références à la comédie musicale américaine des années 50, aux péplums, aux films noirs sont récurrentes.
Mélangeant les thématiques de L’Étrange Créature du lac noir, de La petite sirène, de La Belle et la Bête dans une ambiance à la John Le Carré, avec en prime plusieurs clins d’œil à l’univers de Jeunet et Caro, del Toro accouche d’un OVNI, entre histoire d’amour, film d’espionnage et récit fantastique. La Forme de l’eau s’avère une fable touchante et rare, où l’horreur côtoie le romantisme avec beaucoup de grâce, de fougue et de poésie. Quelques instants de pur plaisir dans un monde sans pitié.