Qu’est-ce qui peut faire dérailler un homme au point de détruire le paradis terrestre qu’il a pourtant patiemment cultivé autour de lui ? Au point de commettre l’irréparable ? Au point d’en perdre la tête, au propre comme au figuré ? L’amour bien sûr, qui saisit le cœur et l’âme, réduit la volonté à néant, surtout celle des séducteurs qui se croient invincibles. Voici la terrible expérience que nous narre le chef décapité d’un curé anonyme, soliloquant du fond de son panier.
Casanova ou Julien Sorel ?
Cet abbé, nous n’entendrons jamais son nom durant ce long, drôle et palpitant récit d’une course à l’abîme. Curé anonyme donc, néanmoins fortement inspiré de Guy Desnoyers, le fameux prêtre d’Uruffe, condamné pour les meurtres de sa maîtresse et de son enfant au début des années 60. Cette sordide affaire a tellement imprégné le réalisateur Philippe Ramos qu’il lui a consacré un court métrage intitulé Ici-bas en 1996, avant de creuser plus avant ses réflexions dans Fou d’amour.
Qu’est-ce qui donc peut faire déraper à ce point ? Quel lent processus ronge la conscience d’un homme dit de Dieu pour en faire un criminel abject ? Pour camper ce personnage retors, fascinant et médiocre à la fois, Ramos choisit Melvil Poupaud, dont les traits fins se teintent d’une ironique candeur tout à fait ambiguë. À la fois acteur et narrateur de cette chute, le comédien construit un profil très influencé par Casanova et le Julien Sorel de Stendhal, dont les dérives comme les fantasmes se doublent d’hypocrisie mielleuse et d’un sens consommé de la psychologie.
La passion qui disloque la raison
Égocentrique, manipulateur, sensuel, ce prêtre étrange révèle, confession après confession, les attirances les plus charnelles, gagnant à ses suffrages des paroissiennes énamourées dont il exploite la solitude et le manque affectif, parmi elles la très élégante Amarante, à laquelle Dominique Blanc prête son intelligence, sa finesse et sa pétulance à fleur de peau. Le sérail va néanmoins perdre toute saveur à l’approche de la virginale Rose, véritable incarnation de la pureté la plus angélique, Marguerite écrasée sans merci par ce Faust moderne.
À ce jeu, la lumineuse Diane Rouxel se distingue, et son interprétation ajoute encore à l’ambiance malsaine qui se dégage de l’intrigue, dans ces paysages magnifiques, cette verdure gorgée d’une lumière éclatante. On évoque en dernier lieu La Faute de l’abbé Mouret, le roman si dérangeant de Zola, dont la problématique rejoint celle du film : celle de la responsabilité, de la capacité à mesurer la portée de ses actes, de la passion qui emporte, ravit et disloque la raison. Fou d’amour n’évoque bien sûr aucune réponse, mais il a le mérite de questionner ce comportement équivoque.