Il y a peu, nous visionnions et chroniquions Anthropoid, comme phase préparatoire à la sortie de HHhH de Cédric Jimenez. C’est que les deux films abordent le même sujet, à savoir la mise à mort de Reinhard Heydrich, haut officier SS en charge de la solution finale ; mais ils ne le font pas de la même manière. Comme nous vous l’expliquions dans notre précédent article, Anthropoid se concentre sur la mise en place de cette exécution par les agents Jan Kubis et Josef Gabsik. HHhH n’aborde cette phase cruciale qu’après avoir traité l’ascension de Heydrich vers les hautes sphères du pouvoir.
La gestation d’un monstre
Ainsi construit en deux temps, le film de Jimenez suit fidèlement le livre de Laurent Binet, prix Goncourt du Premier Roman 2010. Et c’est peut-être cela le souci, car en confrontant le vécu du tristement célèbre Boucher de Prague avec l’orchestration de sa mort, le réalisateur perd le spectateur dans un discours confus, une rythmique dissonante. L’idée est bien sûr de mettre en parallèle la gestation d’un monstre et l’héroïsme de ceux qui le terrasseront, quitte à y laisser la vie. Fanatisme contre patriotisme, face aux pires élans humains, on ne peut répondre que par le sacrifice.
Logique dans l’ouvrage d’origine, cette équation perd de son sens dans le cadre d’une narration filmique contingentée par le temps de projection, et l’impact d’images esthétiques magnifiques, jusque dans l’horreur des massacres. La première partie du film accroche l’attention du spectateur qui voudrait en savoir plus sur ce type étrange, brutal, incisif, radié de la marine pour une trouble histoire de fesses. Humilié, Heydrich s’enracinera dans le national socialisme, poussé par son épouse Lina, fervente du parti.
Un point de vue factuel
Nous le voyons gravir les échelons avec détermination et violence, dans le sillage d’un Himmler dont il était selon les dires d’Hitler le cerveau d’où ce titre énigmatique du reste… Intégration dans les SS, orchestration d’un espionnage de masse, écrasement des opposants, Nuit des Longs Couteaux, éradication de la résistance tchèque, conférence de Wansee … il y a tant à dire, à rappeler, à scruter … pourtant aucun recul sur cette psychologie trouble et dominatrice, doublée d’une discipline froide et bassement calculatrice : Jimenez observe l’homme au cœur de métal d’un point de vue factuel, chronologique. Son intimité transparaît dans ses relations avec une épouse adorée puis progressivement délaissée au profit du pouvoir.
Seul signe d’humanité, l’amour des enfants, à peine traité, le rapport à la musique, ce goût pour le violon et le piano qui rappelle brièvement la séquence atroce du massacre du ghetto dans La Liste de Schindler, quand les tueurs s’arrêtent un instant dans leur furie pour jouer du Mozart sur un clavier déglingué. Il y a pourtant tellement à dire sur cette machine à tuer, cet initiateur du chaos, sa lente métamorphose, les ressorts de sa logique, ce manque d’empathie, cette rigueur de chronomètre, mise au service d’un génocide affreux, avec la bénédiction de toute une population. On demeure néanmoins en surface, et c’est bien dommage, car Jason Clarke était tout désigné pour explorer les tréfonds du personnage qu’il incarne du reste avec une grande justesse.
Demeurent les scènes de tuerie, d’un réalisme saisissant, qui trahissent toute la folie de cette époque, comme une pâle évocation de Requiem pour un massacre. On est loin de La Chute ou de La Naissance du mal cependant, beaucoup plus révélateurs sur la psychologie des membres du nazisme, leur perception sectaire du monde et d’autrui. La phrase de conclusion pourtant retient l’attention : quand il a été tué, Heydrich devait partir en poste … à Paris. Nous devons tant à ceux qui l’ont abattu. Ce film nous le rappelle, maladroitement parfois, mais de manière impérieuse et c’est ce qui fait son prix.
Et plus si affinités