La dernière cérémonie des Golden Globes a récompensé Rosamund Pike pour son rôle dans I care a lot. Après avoir été acclamée par la critique dans Gone Girl, l’actrice s’illustre à nouveau dans le rôle d’une femme intrigante, manipulatrice, immorale et dangereuse. A mi-chemin entre la comédie et le thriller, le film raconte l’histoire de Marla Grayson, auteure d’une vaste escroquerie pourtant d’apparence tout à fait légale : nommée tutrice de personnes ne pouvant plus s’occuper d’elles même, Marla en profite pour détourner leur argent. Cette fantastique arnaque lui permet même de passer pour un véritable ange gardien auprès de la justice, jusqu’au jour où Marla approche une nouvelle proie, riche, sans enfant, une “poule aux œufs d’or”, la victime idéale … ou le coup de trop ?
Une main de fer dans un gant de velours
Tirée à quatre épingles, brushing irréprochable, sourire avenant, la charismatique Marla donne confiance. Rusée et manipulatrice, cette redoutable business woman est pourtant prête à tout pour arriver à ses fins. Se jouant d’une faille dans le système, elle exploite la vulnérabilité des plus faibles et les transforme en véritables marionnettes. Lorsqu’une personne est déclarée inapte à prendre soin d’elle-même par un tribunal, Marla, assermentée par les autorités judiciaires, accourt et vient en aide à la personne en la plaçant dans un établissement spécialisé.
Madone des temps modernes ? Plutôt un rapace fondant sur sa proie pour n’en faire qu’une bouchée. Si la violence n’est que psychologique, elle est cependant bien présente et Marla prend bientôt complètement possession de la vie de ses victimes. Sans état d’âme car seuls le bruit du claquement de ses talons dans le couloir et la vue d’un compte en banque bien garnis sont les moteurs de Marla Grayson. Ses victimes se résument à de vulgaires photos sur le mur de son bureau, décrochées et jetées à la poubelle le jour où elles mourront.
Femme de pouvoir
Rosamund Pike donne ici vie à un personnage qu’on adore détester. Le comportement de Marla est abject, sa ténacité fait froid dans le dos mais on ne peut s’empêcher d’admirer son esprit brillant, son sens très fin de la répartie. Rien ne semble arrêter cette ambitieuse sans morale. C’est une femme forte, qui aime une femme, s’entoure de femmes dans son entreprise. Une distinction qui permet au film d’être parfois qualifié de “féministe” car ici pas de personnage féminin secondaire. Les femmes sont le cerveau de l’escroquerie mais elles n’hésitent pas à se salir les mains, elles occupent toutes les positions avec brio.
Les femmes jouent donc sur le terrain, habituellement masculin, des magouilles et de la violence et s’y imposent en maîtresses de l’art. Et pourtant on peut s’interroger sur cette représentation qui va souvent d’un extrême à l’autre dans les comédies américaines : femme adorable aimée par un homme ou femme de pouvoir détestable et manipulatrice. Est ce que pouvoir conjugué au féminin doit forcément signifier abominable ? Ainsi loin d’être une représentation féministe, I care a lot propose certes l’image d’une femme de pouvoir mais l’associe bien trop vite avec une idée de danger et de dérive.
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Rapport prédateur-proie
“Manger ou être mangé” : I care a lot décline avec ironie le précepte de Hobbes “l’homme est un loup pour l’homme”. La société est composée de proies et de prédateurs ; pour réussir, il faut dévorer nos éventuels adversaires avant qu’ils ne nous dévorent. Marla illustre parfaitement cette théorie et veut réussir à s’imposer comme le prédateur ultime. Violence, manipulation, coups bas, rien ne semble pouvoir arrêter cette redoutable prédatrice et fière de l’être. Le tout est raconté par une voix off débordante de cynisme.
Le film de J Blakeson illustre la soif de réussite propre à la société américaine et les dérives qui peuvent parfois y être liées. Un anti american dream, pourrait-on dire. Dans un univers très concurrentiel, difficile en effet de trouver des alliés et il est tentant de basculer dans ce schéma. Même lorsque Marla se trouve face à un ennemi aussi dangereux qu’elle, elle continue son combat tête baissée et n’hésite pas à redoubler de violence pour survivre. La société semble ainsi revenue à la loi de nature qu’elle est initialement censée contredire : seul le plus fort survivra.
Le prix de la cupidité
L’ironie du film réside dans son titre I care a lot. En apparence, Marla est un modèle de dévouement et de générosité alors qu’elle est dénuée de toute considération pour quoi que ce soit. Elle va jusqu’à mettre en danger celles qu’elle aime, contredisant une nouvelle fois avec cynisme la phrase titre. Marla n’a foi qu’en une valeur et une seule : l’argent. Elle le dit à plusieurs reprises, elle n’aspire qu’à être richissime et n’a pas peur de devoir payer le prix de la cupidité pour y arriver. Marla est l’illustration même de l’appât du gain, rien n’est suffisant pour elle.
Le principe moral d’intégrité pèse bien faiblement face à la puissance monétaire. Même face au danger ultime qu’est la mort, Marla ne semble pas prête à reculer. La jeune femme a les dents longues, les griffes acérées, elle compte bien repartir le porte monnaie rempli, quoi qu’il en coute. Au travers de ce personnage et du film qui raconte son histoire, apparaît le portrait grinçant d’une société capitaliste fondée sur la surconsommation : tout s’y achète, ce qui n’est pas monétisable n’a aucune importance. Le profit et la cupidité remplacent ainsi la solidarité et la bienveillance.
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Difficile de ne pas grincer des dents devant un tel étalage de violence psychologique ; pourtant on passe un bon moment devant le film. Extrêmement bien pensé, enchaînant les rebondissements jusqu’au dernier instant, I care a lot est un petit bijou de cynisme. On en ressort avec une forte envie d’appeler ses grands-parents pour s’assurer de leur sécurité … ou l’envie de se lancer dans une vaste escroquerie, c’est à voir…
Et plus si affinités
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