Tandis que je visionne Ma Loute (encore une projection de retard), je me demande si mes confrères en critique cinématographique ont vu le même film que moi : tous s’accordent sur le caractère extrêmement comique de l’oeuvre, soulignant en termes dithyrambiques son côté hilarant. Du coup je m’interroge. Car les images qui défilent sous mes yeux, esthétiquement superbes, poétiques à chaque cadrage, tiennent selon moi plus du conte philosophique que de la grosse farce, du vaudeville à la Feydeau.
https://youtu.be/9utkP4wRQ1Q
L’intrigue est de la même eau : baie de Slack 1910, la smala Van Pettenghem débarque de Lille pour profiter de ses bourgeoises villégiatures. C’est sans compter sur les disparitions en série qui troublent la quiétude des plages, et la romance que Billie, enfant androgyne de la famille, file avec un jeune pêcheur du coin, Ma Loute. Réalisateur heureux de La vie de Jésus ou de la série P’tit Quinquin, pour ne citer que ces exemples d’une filmographie originale par ses orientations, Bruno Dumont plante là le cadre d’une fable en demi teinte, où consanguinité, cannibalisme, amours transgenres, incestes, folies héréditaires et bestialité cohabitent dans une ambiance digne d’un roman de Jean Teullé.
Adèle Blanc-Sec, Tintin, l’art nouille, Laurel et Hardy, Ettore Scola, Fellini, les influences se croisent pour dépeindre un univers surréaliste qui rappelle fortement les tableaux de Magritte. Personnages qui chutent lourdement ou s’envolent au ciel comme des saints, qui s’expriment dans l’excès des passions ou qui s’abîment dans un silence observateur de prédateur prêt à frapper, les protagonistes de cette apologue aux faux accents policiers constituent le véritable intérêt du film.
Qu’il s’agisse des membres tarés de la famille Van Pettenghem ou des fauves amoraux de la tribu Brufort, les héros de Ma Loute constituent des personnalités incroyables qui devaient être portés par des acteurs aguerris. Dumont choisit donc de mêler de parfaits inconnus doublés d’amateurs à des pointures comme Luchini, Binoche ou Bruni Tedeschi, dirigés à contre emploi et ainsi poussés dans leurs retranchements. Loufoque, leur jeu décalé, pour ne pas dire outré, perturbe le spectateur, le met en alerte. A l’inverse l’amateurisme de Brandon Lavieville ou de Didier Després apporte une fraîcheur maladroite qui évoque les jeux d’enfants.
Citons au passage la révélation du film, l’anonyme et charismatique Raph, qui incarne le personnage trouble de Billie et dont on comprend au premier regard l’incroyable potentiel. Autre personnage incontournable du film, cette côté d’Opale lumineuse et diaphane, ici filmée avec une émotion, une délicatesse infinie héritées des chromos d’époque collectés par le réalisateur en amont du tournage. Expérimental, l’ensemble du film vaut par cette poésie fantaisiste, cette aisance à raconter autrement et avec un brin d’ironie une histoire de monstruosité magnifique.
Et plus si affinités
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