En cette période de pandémie mondiale, l’expression artistique semble être compromise, pour ne pas dire à l’arrêt. Pourtant certains réalisateurs, contraints de s’adapter à ce contexte inédit, parviennent à trouver un second souffle, réinventent leur façon de faire, avec succès. C’est le cas de Sam Levinson qui écrit et réalise l’excellent Malcom & Marie, en respectant scrupuleusement les règles sanitaires.
Huis-clos
Précisons avant tout que le tournage de Malcolm & Marie a été effectué en Californie, durant l’été 2020, en plein pic épidémique. Il a donc fallu repenser les plateaux de tournage, pour assurer la sécurité de chacun : avec pas plus de 12 personnes sur place, l’intégralité des scènes a été filmée dans l’enceinte d’une villa à l’adresse bien gardée. Pourtant, ce protocole sanitaire n’a jamais été un frein créatif pour Sam Levinson, au contraire, puisqu’il va dans le sens du scénario. Malcom & Marie se déroule la nuit, en huis clos, avec quelques scènes dans le jardin de la maison.
A l’image des confinements que nous avons vécus ces derniers mois, les deux personnages subissent petit à petit leur espace intime restreint, avant de se déchirer entre quatre murs. Les tensions s’installent dès la première minute. L’élément déclencheur du drame s’est cristallisé plus tôt dans la soirée, pendant la projection du nouveau film de Malcolm, plus précisément après, durant son discours de remerciements. Malcolm n’a pas remercié Marie, sa compagne, son actrice et sa Muse pour sa contribution au film. Cet incident est-il l’élément qui met le feu au poudre dans ce couple passionnel ? Ou s’agit-il d’un conflit bien plus profond qui détermine la relation des amants ?
Conflit toxique
On comprend au fil des répliques que Malcolm se nourrit du mal être de Marie pour le retranscrire dans son art ; quant à Marie, elle, a besoin du soutien constant de Malcolm pour se raccrocher à la vie. S’ils sont clairement dépendants l’un de l’autre, ils ont du mal à l’admettre, se le reprochent. Marie en veut à Malcolm d’avoir puisé sans limite dans son histoire personnelle pour créer son film. Elle se sent dépouillée de sa propre vie, regrette d’avoir perdu l’occasion de narrer son propre récit. Malcolm, lui, nie le fait que son film existe uniquement grâce à Marie et clame que ses propres expériences ont autant nourri l’œuvre.
Clairement, le conflit est le pilier du scénario, son fil directeur, analysé étape par étape, disséqué, mis en lumière. Ce conflit, Marie n’en veut pourtant pas. Ce qu’elle veut, c’est aller se coucher sans en discuter. Mais Malcolm est têtu, presque obstiné, et la pousse dans ses retranchements pour “enfin” ouvrir les vannes du conflit.C’est là l’intimité véritable du couple, plus que le lien charnel. Nous passons la nuit avec Malcolm & Marie et sommes les témoins impuissants de la dégradation presque fatale, d’une relation dont nous comprenons au fil des scènes combien elle est malsaine, toxique.
Point de bascule
Le lien amoureux implique la confiance, le respect ; même dans la colère la plus sombre, certains propos resteront hors limites. Ces limites, Malcolm ne cesse de les piétiner pour revenir à la charge, harceler Marie. Chacun va user des faiblesses de l’autre pour mieux l’atteindre dans ce duel sans pitié. La tentative de suicide de Marie, les erreurs passées de chacun, rien n’est laissé de côté et chaque phrase est assenée telle un coup de couteau. Celui dont s’empare Marie, qui menace son compagnon, exprimant toute la douleur qui sommeille en elle … avant de lui avouer qu’elle feint, que cette tirade a pour seul but que de lui prouver ses talents d’actrice.
Le point de bascule de l’intrigue ? Un instant révélateur de ce combat d’égo : l’affrontement viscéral entre deux artistes en devenir, qui effacent soudainement les frontières entre inspiration et vie réelle. Entre guerre et amour, il n’y a qu’un pas, que Malcolm & Marie semblent sur le point de franchir à chaque instant. D’autres enjeux se dessinent, plus enfouis, plus destructeurs. C’est l’histoire d’un couple certes, mais Sam Levinson déclare que c’est aussi l’histoire de l’amour : la difficulté à communiquer, les relations passionnelles parfois destructrices, la célébrité naissante qui multiplie les rapports de force …
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Le dialogue au cœur de l’action
Malcom & Marie place le dialogue au cœur de l’action. Tout commence avec des échanges plutôt vifs et rapides qui installent la tension dramatique ; puis deux longues tirades s’enchaînent qui mettent les interactions du couple entre parenthèses pour opérer une introspection au cœur des sentiments de l’un et de l’autre. Sam Levinson laisse planer de longs silences pour donner de l’espace à tous les non dits, préparer le climax du règlement de comptes. Il n’y a plus que Malcom et Marie, les silences s’installent, le décor s’efface peu à peu dans ces scènes intégralement en noir et en blanc et on plonge dans le drame d’une nuit.
Un dépouillement trompeur. Soulignons combien la photographie, les cadrages sont extrêmement élaborés, avec des effets de miroir, un travail très pointu de la lumière, des gros plans particulièrement ciselés qui nous immergent progressivement dans la tête des deux protagonistes jusqu’à être absorbés complètement par leurs émotions. Nous sommes loin des extravagances cinématographiques qui ont marqué la première saison d’Euphoria : le résultat est néanmoins bluffant. Pourtant, sorti sur Netflix France le 5 février 2021, le film a reçu un accueil mitigé de la part du public et de la critique.
Une alchimie incroyable
Parfois acclamé pour la justesse des sentiments représentés, parfois jugé long et sans réel intérêt. Toutefois, tous s’accordent à saluer la performance de Zendaya. Le rôle a été pensé et écrit pour elle et elle crève l’écran. Future grande actrice de sa génération, nous sommes suspendus à ses émotions pendant l’intégralité du film. D’abord rayonnante et presque envoûtante, puis déesse vengeresse, avant de laisser place à une grande vulnérabilité et l’image d’une jeune femme déjà brisée par la vie. On ne sait plus où s’arrête Zendaya et où commence Marie, tellement l’actrice donne vie à ce personnage.
Mais la beauté du film repose sur sa justesse ; rien n’aurait été possible sans John David Washington qui incarne Malcolm. Vu précédemment dans Tenet aux côtés de Robert Pattinson, il forme ici une alchimie incroyable avec Zendaya. Tantôt froid et manipulateur, puis à son tour imparfait et fragile, il livre une performance qui ne peut laisser le spectateur indifférent. On peine d’abord à comprendre ce personnage qui semble égoïste et méprisant vis-à-vis de Marie, avant de découvrir son côté plus obscur et surtout plus sincère. Le duo exprime une profonde sincérité les émotions brutes et intenses de ce couple à la dérive.
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Malcolm & Marie offre une véritable plongée dans le quotidien d’un couple torturé, happe le spectateur au cœur de ce conflit. Qu’on aime ou pas le film de Sam Levinson, une chose est sûre, on ressort bouleversé du visionnage. Deux heures durant, l’intrigue exerce sur nous une fascination presque morbide, accrue par les longueurs et les silences qui alourdissent la pesanteur ambiante et décuple les émotions des amants. La grande force de cette histoire ? Ni team Malcolm, ni team Marie, on aimerait être team Amour et croire que ces deux êtres brisés vont trouver une langue commune pour continuer de s’aimer.
Et plus si affinités
https://www.netflix.com/fr/title/81344370
https://www.ecranlarge.com/films/critique/1365116-malcolm-marie-critique-qui-se-dechire-sur-netflix
https://fr.wikipedia.org/wiki/Malcolm_%26_Marie
https://fr.wikipedia.org/wiki/John_David_Washington
https://www.mouv.fr/emissions/le-screen/malcolm-marie-zendaya-brille-dans-ce-huis-clos-fascinant