Ce n’est pas la première fois que nous croisons Olivier Py dans nos colonnes, loin de là. Directeur avisé et visionnaire du festival d’Avignon 20 années durant, cet auteur/acteur/metteur en scène engagé ne compte plus les spectacles à succès ni les polémiques. Ardent défenseur du théâtre, c’est une véritable déclaration d’amour à l’art dramatique qu’il signe avec Le Molière imaginaire. Et un ovni filmique d’une puissance rare.
Une course contre-la-montre
Théâtre du Palais Royal
17 février 1673
La Troupe du roi se prépare
pour le dernier acte du Malade Imaginaire.
Jean-Baptiste Poquelin, dit Molière,
n’a plus que deux heures à vivre.
Inscrit en lettres blanches sur fond noir, le pitch du Molière imaginaire, d’une rare simplicité, assomme le spectateur dès les premières secondes du film. C’est à une course contre-la-montre que nous allons assister : les derniers moments de Molière, vécus en direct live ou presque sur scène, en dessous, au-dessus, tout autour, tandis que J.B. Poquelin se perd dans ce labyrinthe où l’attendent ses fantômes. Celui de Madeleine, la femme aimée puis abandonnée au profit de sa fille Armande ; celui d’un père hargneux et critique ; celui d’un enfant mort trop tôt…
Place au théâtre
Et puis il y a l’ombre des personnages de Molière, petits marquis aux allures de clowns, Précieuses au visage de sorcières ou de Parques. Fardés de blanc comme autant de cadavres animés, ils évoquent les poupées blafardes de Kantor. Molière, agonisant qui s’ignore tandis qu’il crache le sang, vole de l’un à l’autre, courant après la vie qui s’enfuit. Regrets, remords, fierté, il se remémore ses amours, ses victoires, ses échecs, ce Roi qu’il sert avec fidélité et qui l’abandonne. Quant à sa troupe, face à l’inéluctable, elle envisage déjà la suite, priant pour que son directeur tienne jusqu’au rappel, quitte à le porter sous les acclamations d’un public qui ignore tout de la tragédie à l’œuvre.
Fiévreuse et impudique, la caméra colle aux basques de ce malade pas si imaginaire qui traverse de part en part un théâtre exigu comme une chapelle, éclairé de mille bougies tel un tombeau. Il n’y a que sur scène que la vie demeure, à peine. La quitter, c’est crever à coup sûr, et tant pis pour le salut de son âme : place au théâtre ! Un cri d’amour lancé par Olivier Py et ses interprètes qui évoquent les mystères moliéresques comme un miroir concentrant toutes les beautés de l’art dramatique. Les beautés, les exigences et les désillusions.
Le théâtre triomphera toujours !
La mise en scène, frénétique, accroît le sentiment d’urgence d’un démiurge acculé aux dernières minutes qui lui restent à vivre. Ionesco et Beckett ne sont pas loin, Shakespeare non plus, Ariane Mnouchkine aussi, Jean-Luc Lagarce également qui, rongé par le SIDA, a dirigé un Olivier Py débutant dans son ultime spectacle : Le Malade imaginaire déjà. Une expérience marquante dont le souvenir ressort à chaque plan de cette sarabande macabre, éblouissante de subtilité, de justesse, de profondeur. Laurent Lafitte campe un Molière démentiel, exultant jusqu’au dernier souffle, s’accrochant à son art comme à une bouée dans la tourmente du trépas qui s’annonce. Autour de lui, Jeanne Balibar, Bertrand de Roffignac, Catherine Lachens, Stacy Martin, Dominique Frot, Judith Magre, Jean-Damien Barbin, d’autres encore, talentueux, inspirés, recueillis.
Une troupe véritablement, un ensemble qui fait corps devant l’imminence de la catastrophe. Une catastrophe devenue miracle : J.B.Poquelin meurt, Molière demeure, éternel. Le message est clair : le théâtre triomphera toujours, porté de génération d’acteurs en génération d’acteurs, un tribut, un héritage, une filiation. Une responsabilité. L’homme de théâtre apparaît ici comme une vigie, ce chien noir aboyant au bord d’une tombe perdue, veilleur de nuit, gardien des consciences, symbole de fidélité, de sagesse… et de philosophie. Molière cynique ? Bien sûr, et son esprit, toujours palpitant, demeure de même, mordant, et prompt à attaquer la bêtise et l’obscur.
Et plus si affinités ?
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