Le livre d’Alexandre Maral Les Derniers jours de Louis XIV avait dévoilé la fin d’un règne ; le film d’Albert Serra se concentre quant à lui sur la fin d’un roi. Un roi qui doit composer avec la grandeur de sa dignité monarchique et sa souffrance d’être humain. Posé en équilibre sur les épaules d’un interprète hors normes, La mort de Louis XIV prime par le récit d’un départ conscient, l’évocation d’une tragédie personnelle, celle des derniers moments d’un souverain ramené au rang d’organisme dégradé.
Jean-Pierre Léaud colossal
Au cœur du lent processus, un Jean-Pierre Léaud colossal, écrasant de puissance et de dignité, seul, éminemment, frappé dans un statut qui le contraint jusqu’au bout à la classique bienséance. Engoncé dans sa lourde robe de chambre de brocart, noyé dans une perruque extravagante, souillé de sueur et de pus, il lance un regard unique, appuyé, profond et pénétrant qui suffit à signifier le poids de ces ultimes journées. Le regret d’une existence flamboyante, les amours passionnées, le goût du pouvoir, sa cruauté, ses exigences, … et ce besoin de partir, enfin. De se reposer.
Un petit théâtre de la mort
Peu de mots, des gestes lents, le souffle difficile, … Léaud campe un Louis XIV incroyable, dans une économie d’attitude d’autant plus pathétique. Albert Serra en fait le centre de ce petit théâtre de la mort, opaque et étouffant, dans cette chambre de malade qui empeste les médecines, la poussière et les excréments. La pourriture latente de la chair qui se mêle à l’odeur rance des bougies fondues. Les serviteurs, le docteur attitré, les savants appelés en renfort, voici les acteurs empressés et inquiets qui accompagnent cette agonie. La famille royale n’arrive qu’au second plan, dans la complexité du protocole.
Une rigueur presque janséniste
L’anxiété, nous la lisons avant tout dans le regard du valet fidèle, du prêtre, de Madame de Maintenon, l’épouse. Le roi, lui, est le seul à demeurer calme, certain de son destin, s’apprêtant à jouer le dernier acte de son existence politique et humaine, son décès. Car il sait l’inéluctable, l’accepte, l’intègre comme une nécessité, et cela, à l’instant où, encore vaillant, il salue ses chiens, qu’il adore, mais ne peut plus voir de par sa maladie. Précis dans les décors, les costumes, l’éclairage digne d’un tableau, le film de Serra relève d’une rigueur presque janséniste, qui tranche avec l’éclat habituel des reconstitutions historiques. Le parti pris est appréciable qui rappelle le caractère humain du personnage politique, l’extrait de sa cosse de légende pour le ramener au rang de l’individu souffrant.