Le Nosferatu de Murnau demeure LA référence en matière de film vampirique. Hypnotique et terrifiant, alors que pas un mot ne sort de la bouche de ses personnages. Un chef-d’œuvre qui va ancrer profondément les fondations du cinéma fantastique pour le reste des temps. Avec comme figure de proue un certain Max Schreck, acteur hallucinatoire dont l’ombre règne depuis, encore et toujours, sur l’interprétation de ses héritiers postulant au rôle de prince des ténèbres. Un comédien tellement convaincant qu’on s’est un temps demandé s’il n’était pas vraiment mort-vivant. Et le metteur en scène E. Elias Merhige de s’inspirer de cette légende tenace pour tourner L’ombre du vampire.
Le mystérieux Max Schreck
Il y raconte comment Friedrich Wilhem Murnau, réalisateur génialissime mais complètement fou, entraîne toute son équipe de tournage au cœur d’une zone montagneuse visiblement tchécoslovaque, éloignée de toute bourgade, avec pour seul signe de civilisation un château en ruine qui doit servir de décor pour son adaptation du roman de Bram Stoker Dracula. Le voyage est relativement compliqué, nous sommes en 1921, les modes de transports sont plutôt rudimentaires dans ce territoire aussi escarpé que reculé. Et on se demande bien comment le mystérieux Max Schreck a pu rallier l’endroit avant toute la troupe, pour soit disant y prendre ses quartiers en avance afin de se plonger dans l’atmosphère du lieu et s’imprégner de son personnage. Personnage si terrifiant que même ses camarades de tournage sont impressionnés par sa prestation, pour ne pas dire apeurés. Il faut dire que le monsieur est aussi convaincant que mystérieux, replié dans les souterrains du château dès la fin des prises, refusant de se mêler à l’équipe.
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Un pacte avec le diable
Équipe dont les membres se mettent soudain à disparaître les uns après les autres, toujours de nuit, tandis que les relations entre le réalisateur et son acteur principal se détériorent scène après scène. Un acteur dont tous commencent à questionner la nature. Et si Murnau, dans sa folie créatrice, avait pactisé avec le diable, vendant son âme, son actrice et ses techniciens à un monstre venu d’outre-tombe pour signer le chef-d’œuvre absolu ? Une hypothèse que E. Elias Merhige développe avec une certaine ironie. En effet, le scénariste Steven A. Katz concocte une série de portraits drolatiques qui émaillent cette aventure artistique complètement improbable : le producteur joué par Udo Kier (interprète lui-même d’un comte Dracula 70’s particulièrement porté sur la chose sous la direction du très sulfureux Paul Morissey) ou la très talentueuse, capricieuse et défoncée comédienne Greta Schroeder incarnée par une Catherine Mc Cormack droguée jusqu’aux yeux.
Deux ogres
Mais au final, cette fable oppose deux ogres, l’un issu d’un passé légendaire, l’autre enraciné dans une modernité ô combien dangereuse. L’Ombre du vampire évoque une Allemagne prête à glisser dans le cauchemar nazi. Et de tous ces monstres de l’écran dirigés bille en tête par un Murnau que John Malkovich irradie de sa démesure, Max Schreck est le plus humain, sous les traits à la fois durs, défaillants et sensibles de Willem Dafoe. On savait le comédien excellent, il le prouve une nouvelle fois en composant un seigneur d’un autre âge, sachant sa disparition proche et désireux de laisser son empreinte, sa trace alors que les vestiges de son monde vont être impitoyablement détruits par la tourmente qui s’annonce. Prophétique, fataliste et incroyablement juste.
Et plus si affinités