6 juin 20212 : The ARTchemists consacrent une chronique aux deux volets du film de Robert Enrico La Révolution française, sorti en 1989 pour célébrer le bicentenaire de cette période qui devait tout changer. Tout changer … Nous ne reviendrons pas sur l’analyse très juste de Olinda Coïa qui démontrait le caractère incontournable de cette fresque monumentale. Ce qui nous intéresse ici, c’est l’éclairage que le film apporte aux événements actuels.
Vision condensée d’un cycle
Ceux qui consultent les réseaux sociaux auront noté la résurgence de têtes coupées (pour l’instant fort heureusement factices), de guillotines, de menaces physiques qui évoquent cette période à la fois lumineuse et terrible où aristocrates et gens du peuple s’affrontèrent sans pitié. Jusqu’à la mésaventure de Macron au Théâtre des Bouffes du Nord que l’on a qualifiée de fuite de Varennes. Et que dire des portraits de notre président en Louis XVI imbu de lui-même ? De la comparaison de son épouse en Marie-Antoinette ? En sommes-nous là ?
Revoir la saga de Enrico devenait urgent. Non pas que le récit du réalisateur soit des plus complet, pour ce faire il faut consulter l’impressionnante bibliographie consacrée à la fin de l’ancien régime, notamment le très complet La Révolution de Margerit, qui fait vivre par le menu et au sein d’une seule et même famille les enthousiasmes et les convulsions de ces jours uniques dans l’histoire d’un pays. L’avantage du récit filmique de Enrico est de fournir une vision condensé d’un cycle. Un cycle d’incompréhension et de violence. Une mécanique qui, une fois enclenchée, est sans retour.
Cinq années d’espoir et de barbarie
Le film débute avec la convocation des États généraux en mai 1789 pour finir avec l’exécution de Robespierre fin juillet 1794 . Entre les deux, cinq années d’espoirs, de formidables avancées et de barbarie … une poussée de brutalité engendrée par la rupture progressive du dialogue, des rancœurs épouvantables, des visions contradictoires de la société parfaite, un total déni de la misère populaire, la morgue méprisante et aveugle de l’aristocratie dominante, l’avidité d’une bourgeoisie de robe et d’affaire qui compte prendre le pouvoir, des ouvriers et des artisans qui crèvent de faim, n’en peuvent plus d’impôts et ont emmagasiné une haine féroce …
Tous les ingrédients sont là pour déclencher une explosion complète d’un système déjà bien gangrené. Aurait-on pu éviter cela ? Certes non. Et l’échange est inenvisageable entre ces différents protagonistes qui ne partagent pas la même vision du monde, les mêmes attentes de vie, … les nobles enfermés dans Versailles se considèrent de droit divin en haut de l’échelle de gouvernance, la population n’en peut plus de crever dans le caniveau, la bourgeoisie qui détient l’argent et la puissance intellectuelle se trouve au milieu de la pyramide et compte éradiquer la classe dominante qui ne veut rien entendre des arguments justifiant une saine mutation, plus de justice, d’équité.
Mémoire et avertissement
Pas de dialogue donc … ce qui initie le cycle d’une violence graduelle, dont le film met très bien en évidence les mécanismes de surenchère. Et c’est cela qui questionne le spectateur, l’inquiète. Car une fois le roi balayé d’un échiquier politique dont il troublait la logique par ses hésitations et son double jeu, les différentes factions révolutionnaires vont s’entre-dévorer. Sans pitié. Laissant le souvenir de la Terreur, des massacres, une guillotine ensanglantée, quotidiennement baladée dans les rues de Paris, comme dans les autres grandes villes de France, car l’odeur des corps décapités à la chaîne dérange le voisinage. Tout ça parce qu’à la base, un monarque, ses proches, sa Cour n’ont pas voulu entendre, n’ont pas voulu changer.
En avaient-ils seulement les moyens, élevés qu’ils furent tous dans le culte de la monarchie absolue de droit divin, unique définition à leurs yeux d’un univers juste ? C’est ici que le film reflète notre actualité, la position autiste de gouvernants hors sol qui ignorent les frustrations, la misère, les peurs, ce sentiment de menace constante, la conviction que la majorité de la population n’a aucune valeur, est redevenue un tiers-état laissé pour compte, méprisé. Au final, nous devrions tous, je dis bien TOUS, revoir ce film gigantesque qui n’est pas que mémoire, mais avertissement.