Quand on évoque la question de la corruption policière, un nom vient à l’esprit. Serpico. Frank de son prénom. Nous sommes à la fin des années 60 ; à peine sorti de l’académie de police, ce jeune flic new-yorkais d’origine italienne va se retrouver confronté à ce qu’il attendait le moins, la corruption de ses pairs. Corruption qu’il va dénoncer au péril de sa vie. C’est cette histoire sidérante que Sidney Lumet raconte dans le film désormais culte Serpico.
Un intellectuel rongé de frustration
Ce biopic a beau dater de 1973, il demeure un modèle du genre, un incontournable. Grâce à l’interprétation d’excellence de Al Pacino, bien évidemment. L’acteur prête à son personnage un côté à la fois candide, juvénile et nerveux qui s’accentue au fur et à mesure qu’il découvre l’ampleur des trafics orchestrés par ses collègues, parfois ses amis. Un intellectuel rongé de frustration, de colère, un outsider, mis à l’écart par ceux avec qui il travaille, quitte à se faire tirer dessus et à frôler la mort.
La probité comme valeur cardinale
La narration très carrée de Lumet, son traitement de l’image accentue cette plongée progressive dans un panier de crabes bien puant, tout en soulignant la tension créée par ce choix de la probité. Une valeur cardinale pour le héros, sa limite, sa frontière. Intègre, il se tait d’abord, refuse ensuite, œuvre en sous-main pour alerter des autorités qui n’en ont pas grand-chose à faire. Solitude, isolement, anxiété, Pacino EST Serpico, bien plus encore qu’il y paraît, dans cette approche presque documentaire, un brin crasseuse et sans concession qui n’est pas sans évoquer l’esthétique de Macadam Cowboy.
Bousculer les codes
Mais Serpico est aussi à voir pour le côté avant-gardiste de son protagoniste. Ce jeune flic à peine arrivé sur le terrain bouscule les codes, les habitudes. Refusant le complet veston usuel, il s’habille comme tout le monde, quitte à donner dans le style hippie, barbe et pattes d’eph’, se fond d’autant mieux dans la foule pour chopper dealers et malfrats. Il revoit complètement les codes de la traque et de l’infiltration, préfère la psychologie à la violence. Subversif, indépendant, il refuse de se plier à la banalité, dicte ses propres règles. Et on l’éjectera du système.
La grandeur de l’impuissance
C’est ce côté fatal qui prend à la gorge au terme de ce récit de vie. Serpico est un type idéaliste, convaincu de l’importance de sa fonction : des droits certes, mais aussi des devoirs. Pétri d’humanité et de bon sens, il déboule dans un univers sclérosé qu’il a magnifié et dont il découvre progressivement les failles, les dysfonctionnements, la profonde part d’ombre. C’est pour lui intolérable : soit il améliore le système, soit il le quitte. Comme la vie, le film tranchera, posant le socle d’un mythe moderne de l’impuissance devenue grandeur.
Et plus si affinités