Sibyl : un film incontournable, une héroïne complexe

La Bataille de Solférino, Victoria… en deux films, Justine Triet a affirmé son penchant pour les héroïnes complexes qui aiment se créer des problèmes, privilégient le chaos à la quiétude. Ont-elles d’ailleurs le choix ? Avec Sibyl, la réalisatrice va un peu plus loin, affinant sa narration, son style, sa vision. Sans pour autant atteindre la lumière, et c’est justement cela qui fait le prix de sa perception.

Au cœur d’un cyclone émotionnel

Sibyl, donc : auteure qui, après un premier succès littéraire, a progressivement lâché la plume pour devenir psychanalyste. Un compagnon, deux enfants, une vie en apparence tranquille… qu’elle bouleverse un jour en lâchant son job et ses patients pour retourner à ses premières amours. Au propre comme au figuré, car en revenant à l’écriture, qu’elle décrit du reste comme une obsession, Sibyl va tenter de régler son compte à une passion dont elle ne s’est jamais vraiment remise.

Elle va même rouvrir cette blessure jamais cicatrisée en s’accrochant à une jeune femme venue la consulter en urgence : une jeune actrice sur le point de débuter un tournage sur l’île de Stromboli, au côté d’un comédien célèbre avec qui elle vit une idylle secrète, comédien qui l’a mise enceinte alors qu’il est officiellement en couple avec la metteure en scène de ce film d’amour. Il faudrait fuir cette situation pour le moins explosive ; Sibyl, au contraire, va foncer tête baissée au cœur de ce cyclone émotionnel, s’en inspirant pour écrire ce livre qu’elle appelle de ses vœux les plus intenses, mais qu’elle peine tant à commencer.

La douleur du rejet

Et, bien sûr, Sibyl, en se jetant à corps perdu dans cette mêlée, va y laisser le peu d’équilibre qu’elle possède, malgré les apparences. Ralliant le site de ce tournage maudit pour soit disant épauler sa patiente, en dépit de toutes les règles de déontologie professionnelle, elle va réveiller ses vieux démons, l’ombre d’une mère destructrice, le venin d’une sœur manipulatrice, le souvenir d’un amant corrosif. Et replonger dans l’alcoolisme et la dépression dont elle n’est peut-être jamais vraiment sortie. Consciemment, parce qu’il n’y a que ça à faire pour tenter d’anéantir la douleur du rejet, l’indifférence de l’aimé ?

Justine Triet et Arthur Harari, son complice à l’écriture comme à la ville, accouchent ici d’un personnage de femme digne des héroïnes de Cassavetes. Ce n’est pas pour rien que les références au film Opening Night se multiplient (la fameuse scène de la gifle notamment) ; happée par la crise de cette jeune actrice qu’elle encaisse comme une série de coups de poing, Sibyl s’effondre comme le fait Myrtle Gordon campée avec tant de dureté par Gena Rowlands. Elle s’effondre pour mieux remonter la pente, du moins elle essaye. Avec douleur et dignité, malgré les élans, les conneries, les souffrances, les errances.

Sidérante Virginie Efira

Elle subit son destin ? Ou elle suit son chemin ? Pas de réponse, que des questions, alimentées par une Virginie Efira sidérante dans ce rôle d’écorchée qu’elle embrasse avec fougue, sensualité, déchirement, jusque dans les scènes de sexe et d’ivresse, les crises de larmes, les orgasmes. On reste confondu devant pareille maîtrise. Le rôle a été conçu comme une continuité plus sombre de Victoria. Et c’est tout un défi que de se glisser dans la peau et les failles de Sibyl en conservant juste ce qu’il faut des angoisses du précédent personnage, sans tomber ni dans la redite, ni dans la caricature. Trouver non pas la petite musique intérieure de cette femme, mais les dissonances qui en crevassent la potentielle harmonie.

Face à elle, la violence d’Adèle Exarchopoulos, la veulerie manipulatrice de Gaspard Ulliel, les changements de ton de Niels Schneider, les mensonges de Laure Calamy… Autour d’elle, la rudesse volcanique de Stromboli, les couleurs tranchantes de Paris, l’atmosphère confinée d’un cabinet de consultation transformé en refuge où noyer cet incommensurable chagrin, strié de flashbacks intrusifs, dont la caméra de Triet impose l’omniprésence obsédante. Narrativement, esthétiquement, par l’interprétation comme par le scénario, Sibyl est un film incontournable fondé sur une héroïne complexe dont la tournure repense les codes de représentation de la femme à l’écran.

Et plus si affinités

Delphine Neimon

Posted by Delphine Neimon

Fondatrice, directrice, rédactrice en chef et rédactrice sur le webmagazine The ARTchemists, Delphine Neimon est par ailleurs rédactrice professionnelle, consultante et formatrice en communication. Son dada : créer des blogs professionnels. Sur The ARTchemists, outre l'administratif et la gestion du quotidien, elle s'occupe de politique, de société, de théâtre.

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