« En pleine nuit, M. Deschannel tombe de son train en marche » : la Une du quotidien Le Petit Parisien en date du 25 mai 1920 préfigure le souvenir que laissera Paul Deschanel dans les mémoires. Un fou, incapable de gouverner. Une postérité bien injuste, que le film Le Tigre et le Président tente de rectifier.
Agir, changer les choses
S’appuyant sur plusieurs biographies, le réalisateur Jean-Marc Peyrefitte revient avec autant d’humour que d’émotion sur le parcours de Paul Deschanel, plus spécifiquement ce moment clé où il est élu président au lendemain de la Première Guerre Mondiale. Et c’est un homme aux convictions progressistes bien trempées, porteur d’une véritable volonté de réforme sociale, animé par la foi dans l’avenir et l’humanité, qui accède à l’Élysée, en place d’un Clemenceau revanchard et un brin conservateur.
Favorable au vote des femmes, à l’éducation des masses, à l’égalité des droits, convaincu par ailleurs que le traité de Versailles porte en germe un nouveau conflit mondial, Deschanel use des nouvelles technologies à sa disposition pour communiquer avec les Français, susciter leur adhésion, leur enthousiasme. Le statut purement honorifique de sa fonction, il n’en a cure. Il veut agir, changer les choses. Et c’est un vent de changement qui déboule avec lui durant les conseils de ministres qu’il met au pas avec esprit, humour et fermeté.
Deux animaux politiques ?
Tout irait très bien, s’il n’était déjà très surmené, intellectuellement et émotionnellement épuisé. Un brin dépressif au passage. La charge de ses attributions ne va guère l’aider, au contraire. Accablé par un emploi du temps démentiel où il perd de précieuses heures à inaugurer des monuments aux Morts, rencontrer des anciens combattants, visiter des usines, serrer des mains et embrasser des enfants, Deschanel va bon train, c’est le cas de le dire, vers le burn-out. Et ses opposants ont très bien saisi la chose, qui attendent sa chute pour se saisir du pouvoir et écraser ses velléités de changement.
En tête de cette meute, Clemenceau donc, le Tigre, va-t-en-guerre impénitent qui veut faire payer l’Allemagne à tout prix, par ailleurs représentant d’une caste dominante qui n’entend pas céder un pouce de ses prérogatives. Le vieux roublard va tout faire pour assurer la déchéance de cet idéaliste exalté dont il ne supporte ni l’esprit ni le bon sens. Y parviendra-t-il, tandis que l’élection surprise de son rival le condamne à un semi-exil dans une campagne qui lui est intolérable ? De fait, Jean-Marc Peyrefitte met en scène la confrontation de ces deux animaux politiques animés, sinon d’idées similaires, du moins d’une énergie commune.
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Portrait tragique d’un visionnaire
On s’attendrait à une comédie, et le jeu d’André Dussolier, parfait dans le rôle du Tigre, va dans ce sens, de même, l’interprétation de Christian Hecq en Millerand. Mais le portrait d’un Deschanel dévoré par son idéal, consumé par sa dépression, est d’autant plus tragique que cet homme était visionnaire, et que s’il avait eu suffisamment de force et d’équilibre pour rester à l’Élysée, il aurait pu, espérons-le, éviter cette Seconde Guerre Mondiale dont il avait perçu, à raison, la menace. Fragile et élégant à la fois, Jacques Gamblin apporte un relief incroyable à ce personnage qu’on caricaturait jusqu’à présent.
Ce n’est désormais plus possible, le film de Peyrefitte est passé par là, pour réhabiliter cette figure historique méconnue. Son récit offre par ailleurs l’opportunité de méditer sur les dangers du pouvoir. Il ne fait pas bon être trop pétri de valeurs et de droiture quand on pénètre les couloirs de la politique, et qu’on envisage d’en changer le cours. Deschanel fut-il terrassé par sa maladie mentale, ou psychiquement écrasé par un entourage qu’il gênait trop, et qui voulait sa perte ? Ou est-ce un peu des deux ? On ne saura jamais. Ce qui est sûr, c’est que c’était un grand homme ; nous ne pouvons que pleurer sa perte, car, c’est certain, il aurait changé la face des choses.
Le film Le Tigre et Le Président est disponible
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