On s’est récemment fait la réflexion avec la team : on parle peu, voire pas du tout, de jazz sur The ARTchemists. Regrettable oubli, que nous allons immédiatement compenser en évoquant le film Whiplash, qui ne fait pas que parler de jazz bien sûr, sinon cela aurait été trop simple.
Un tempo diabolique
« Whiplash », c’est initialement le titre d’un morceau du musicien Hank Levy, saxophoniste et compositeur de jazz américain qui s’est distingué par un net penchant pour les rythmiques infernales. Un défi pour tout batteur qui se respecte de tenir la cadence singulière du dit « Whiplash », et c’est d’ailleurs à ce tempo diabolique que va se frotter Andrew Neiman, jeune percussionniste qui rêve de devenir un grand à l’image de Charlie « The Bird » Parker ou Buddy Rick. Et il est prêt à tout pour ça.
Y compris subir l’enseignement traumatique du très exigeant Terence Fletcher, chef d’orchestre renommé et professeur émérite du sélectif Shaffer Conservatory de New-York. Émérite et d’une brutalité incroyable avec ses étudiants, comme va le découvrir Neiman, à ses risques et périls. Car on ne ressort pas indemne des cours de Fletcher, tyran pédagogique doublé d’un pervers manipulateur au narcissisme exacerbé, qui insulte, humilie et frappe ses élèves, les monte les uns contre les autres, alterne douceur et agressivité afin de briser les égos tout en flattant le sien.
Fame : être artiste est une chose, le devenir en est une autre
« Marche ou crève »
À plus d’un titre, ce monstre évoque le sergent instructeur de Full Metal Jacket, sauf qu’il est là pour former des musiciens, pas des guerriers. Pourtant, dans l’esprit de Fletcher, le jazz est un combat auquel les médiocres n’ont pas à participer. Et pour lui, aucun n’a le feu sacré d’un Bird, feu sacré stimulé quand son mentor Buster Smith lui lança une cymbale en pleine tête. Les méthodes d’apprentissage de Fletcher s’enracinent dans cet exemple pour le moins ambigu : faut-il passer par la case «sévices» pour tirer le meilleur d’un apprenant, révéler le génie qui sommeille en lui ?
La question est clairement posée dans le film multiprimé d’un Damien Chazelle à qui l’on doit par ailleurs un certain La la Land; elle n’appelle pas de réponse sinon celle que se forgera le spectateur en assistant au chemin de croix du héros confronté à cette logique du « marche ou crève » qui en a brisé plus d’un avant. Une réponse forcément embarrassée par la conclusion de cette tragique success story, magnifiquement portée par Miles Teller dans le rôle de l’élève et J.K.Simmons dans le rôle du professeur.
Coup de fouet pédagogique
Car la chute de cette intrigue n’est pas sans rappeler les problématiques ancrées dans les romans d’initiation du XIXeme siècle : en suivant semblable formation, en répondant au degré d’exigence de son maître, quitte à mettre sa sécurité physique en péril, Andrew ne risque-t-il pas d’en devenir le double et de perpétuer une méthodologie proche de la torture mentale, sous le fallacieux prétexte de forger le futur du jazz en détectant les musiciens en devenir, en éradiquant ceux jugés trop faibles, en dressant ceux qui se distinguent par une once de talent ?
On s’interroge également sur la passivité des autres étudiants, le silence et des dirigeants de l’école et des parents. Les agissements de Fletcher sont acceptés par tous, sous prétexte qu’il est le meilleur dans une discipline par essence très dure. Mais être le meilleur autorise-t-il de se comporter en monstre, au risque de détruire mentalement et physiquement les jeunes dont on a la responsabilité ? Rappelons que « whiplash » veut dire « coup de fouet », ce qui résume parfaitement l’interrogation ancrée au cœur de ce film aussi magnifique que terrifiant.
Et plus si affinités