Les Guerres de Religion, mais encore ? De 1562 à 1598, elles s’enchaînent pour noyer le royaume de France dans le sang. Huit conflits, qui opposent les clans ultra-catholique et huguenot dans une lutte fratricide et meurtrière. À l’arrière-plan, les puissances étrangères, Espagne et Angleterre, financent chaque parti. Objectifs :
- bousiller le clan adverse ;
- terrasser le régime des Valois ;
- leur prendre la couronne ;
- régner.
Un programme shakespearien, non ? Et tant pis pour les victimes, qu’on a encore aujourd’hui du mal à évaluer : entre 16 et 18 millions de morts ? Quant à la santé économique du pays, après quarante ans de combats, il est en ruines, au propre et au figuré. Il faut tout reconstruire, relancer agriculture, commerce, finance… Une catastrophe qui laissera de multiples cicatrices dans les corps, les corps et les âmes. Moins dans les cours d’Histoire : progressivement, l’évocation de ces années funestes est réduite à néant. Pourtant, la mémoire demeure, sur grand écran notamment.
Films et séries traitent du sujet, pas toujours avec exactitude, loin de là. Dans toute cette production, souvent adaptée de romans (ainsi La princesse de Montpensier de Bertrand tavernier d’après Mme de Lafayette), il faut savoir faire le tri, pour conserver ce qui s’avère le plus véridique, le plus juste, le mieux joué. Voici notre petite sélection, non exhaustive bien sûr, mais déjà très éclairante, que nous tentons de classer en fonction de la chronologie des événements. Ou comment le 7e art se souvient des Guerres de religion.
Le serment d’Amboise, Agrippa D’Aubigné – 1967
Le serment d’Amboise n’aurait pas eu lieu sans la conjuration du même nom, encore moins sans sa terrible répression. Tous les membres de ce complot, protestants, furent soit décapités, soit pendus aux balcons du château du même nom. C’est en passant sous ces grappes de corps en décomposition qu’un seigneur huguenot dit jurer à son fils de venger ces gens. Ce petit garçon s’appelait Agrippa d’Aubigné, et il allait devenir l’un des proches d’Henri de Navarre, futur Henri IV, mais aussi un combattant protestant acharné, par le fer et par la plume. Nous lui devons notamment Les Tragiques, où ce poète incontournable de la littérature française, revient sur l’horreur des guerres de religion, la folie fratricide à l’œuvre.
C’est cette lente gestation de l’homme de lettres au travers de l’homme de guerre que raconte le film Le serment d’Amboise, Agrippa D’Aubigné réalisé par Olivier Ricard en 1967 avec Jean-Pierre Kalfon dans le rôle titre. Outre une interprétation sans faute, ce téléfilm en noir et blanc a plusieurs mérites :
- Poser un cadre précis sans être trop strict
- Mettre en évidence les enjeux alors à l’œuvre dans ces luttes intestines ;
- Donner à voir les conflits intérieurs, les consciences déchirées, les passions qui animaient ces gens pris dans une tourmente qui les dépasse.
- C’est aussi l’occasion de découvrir que les Guerres de religion ne se résument pas au massacre de la Saint-Barthélémy.
Saint Germain ou la négociation – Gérard Corbiau – 2003
Autre pépite à savourer sans aucune modération tant elle est remarquablement façonnée et interprétée, Saint Germain ou la négociation de Gérard Corbiau, adaptée du livre de Francis Walder, nous entraîne dans les coulisses des tractations diplomatiques entre protestants et catholiques pour mettre un terme à la 3e guerre de religion. Nous sommes en 1572, les caisses sont vides, l’ennemi étranger menace les frontières, il faut arrêter le conflit. Mais comment ? Hors de question de lâcher quoi que ce soit aux protestants, la reine Catherine de Médicis, qui gouverne via son fils Charles IX, est formelle. Malassise, son négociateur, a des ordres ; fin stratège, excellent diplomate, il va obéir et aboutir. Donner l’impression de céder quand en fait, il ne donne rien. Gagner du temps. Et pendant ce temps gagné, on ourdit le prochain massacre dans l’ombre.
Cette heure et demie de récit passionnant sonne comme une véritable leçon de politique… et d’humanité. Car Malassise, magnifiquement interprété par un Jean Rochefort maniant à la perfection l’ironie et l’émotion, petit à petit, découvre ceux avec qui il dialogue, notamment Mr de Melynes, Didier Sandre suave et précieux. Tenu d’obéir à son roi, Malassises va pourtant se découvrir des affinités avec ces protestants qui ne sont pas forcément des ennemis. Ce film est une réussite, quant à l’évocation du climat régnant alors, des mentalités. On notera la prestation éclatante de Marie-Christine Barraud en Catherine de Médicis froide, calculatrice et cynique.
Catherine de Médicis – Yves-André Hubert – 1989
Catherine de Médicis, justement. Incontournable, ancrée dans ces guerres qu’elle cherche à éviter. Le film d’Yves-André Hubert, inspiré par l’exemplaire biographie de Jean Orieux, évoque le rôle de cette souveraine particulièrement manipulatrice, principalement à partir de la Saint-Barthélémy. Lettrée, rusée, pleine d’humour, psychologue, c’est Alice Sapritch qui prête ses traits et sa voix à la Florentine. Et son interprétation est magistrale.
Passant de la complaisance à la dureté, l’actrice donne à voir une logique de gouvernement, un bon sens pratique, une perception hors normes des passions humaines. Tandis qu’elle marche inéluctablement à la mort, nous la voyons s’accrocher au pouvoir, tenter de ménager les deux camps, pour sauvegarder la place de sa lignée sur le trône. Face à elle, d’abord Coligny (Simon Eine) et ses huguenots obsédés par la guerre contre l’Espagne, puis les Guise, princes lorrains assoiffés de pouvoir, enfin son propre fils, Henri III, bien décidé à gouverner sans elle. Et comme un fil directeur, la peur de Saint-Germain, où on lui a prédit qu’elle mourrait.
La reine Margot – Patrice Chéreau -1994
Une époque pareille, Alexandre Dumas père ne pouvait passer à côté. C’est ainsi que le romancier écrit La reine Margot en 1845. Il y évoque les amours tumultueuses d’une des filles de Catherine de Médicis, Marguerite de Valois. Incestueuse, volage, collectionnant les amants, elle est mariée de force avec Henri de Navarre en 1572, dans le cadre d’une enième réconciliation qui va engendrer le massacre de la Saint-Barthélémy. Plusieurs cinéastes se sont emparés de ce récit, mais Patrice Chéreau lui va en faire un chef-d’œuvre magistral.
Isabelle Adjani, Vincent Pérez, Dominique Blanc, Jean-Hugues Anglade, Daniel Auteuil, Pascal Greggory, Virna Lisi, Jean-Claude Brialy, Miguel Bosé, le casting est aussi glorieux que les costumes, les décors, la musique, le travail de la photographie et des lumières, le rythme des séquences. Décrivant ni plus ni moins qu’une famille de mafieux corrompus et perverse dirigée d’une main de fer par une Catherine de Médicis aux allures de vampire, Chéreau donne à percevoir une atmosphère tisée d’horreur, d’angoisse et de suspicion. Sa vision du massacre, cette sensation d’enfermement, cette violence larvée, même si ce fut romancé par Dumas, tout cela sonne très juste, exhale l’esprit cannibale de cette période.
L’assassinat du Duc de Guise – La Caméra explore le temps – 1960
Trop avide, trop nonchalant, le Duc de Guise, grand chef de la Ligue catholique, va progressivement s’imposer comme le principal opposant au pouvoir en place. En 1588, il menace directement Henri III, reclus dans le château de Blois. Henri III qui, sous son apparente mollesse, est bien décidé à en finir. Nous sommes le 23 décembre 1588, et Henri de Guise n’a plus que quelques heures à vivre.
Ce sont les différentes étapes de son exécution que relate Guy Lessertisseur dans L’assassinat du duc de Guise, avec un sens du tempo assez prenant. Au scénario, comme il se doit pour La caméra expore le temps, les historiens André Castellot et Alain Decaux ainsi que le producteur Stellio Lorenzi. Devant la caméra, dans des décors somptueux refaits à l’identique, nous voyons jouter Georges Descrières en Guise et François Maistre en Henri III. Il faut bien admettre que la confrontation, collant au plus juste du timing établi par le roi pour mettre son dangereux rival à mort, fait frémir. Elle est aussi pertinente qui éclaire le concept de nation : Henri III veut à tout prix préserver la France des influences étrangères, en préserver la souveraineté qu’il sait menacée par les accointances de Guise avec l’Espagne. C’est un point absolument essentiel.
L’assassinat d’Henri IV
C’est le dernier acte de cette tragédie qui n’en finit plus d’endeuiller la France. Nous sommes en 1610, le royaume est en paix depuis 1598 et l’avènement d’Henri de Navarre. Henri IV s’est marié, a eu des enfants ; le pays va mieux, l’Édit de Nantes a ramené la concorde enter les partis religieux. Le roi, pourtant, s’apprête à partir en guerre contre l’Espagne, quand, le 14 mai 1610, il est poignardé par François Ravaillac. Le geste fou d’un fanatique isolé… ou un enième complot ?
Pour en savoir plus, on peut visionner « Qui a tué Henri IV ? » par Stellio Lorenzi, un épisode de La caméra explore le temps daté de 1960 ainsi que le plus récent Ce jour-là, tout a changé – L’assassinat d’Henri IV tourné par de Jacques Malaterre en 2009. Le premier se concentre sur cette ultime journée avec ses signes, ses revirements, son suspense. Le second intercale les différents épisodes de cette montée à la mort avec des flashbacks sur la prise de pouvoir d’Henri IV, ses enjeux diplomatiques, politiques, religieux. Les deux versions se complètent harmonieusement avec en prime des distributions soignées, une réalisation d’excellence.