On se demande comme grand écran et petite lucarne ont pu passer à côté d’un pareil potentiel scénaristique. Berthe Morisot : une femme en révolte contre les diktats de son temps, une peintre innovatrice, une créatrice intellectuellement et affectivement indépendante. A l’heure où Camille Claudel s’apprête à sombrer dans la folie, Berthe Morisot trace le sillon de l’impressionnisme.
Epouse, mère, elle est avant tout une artiste affirmée qui saura s’imposer et sortir de l’ombre du très décrié Edouard Manet. A coups de pinceau, vigoureux, larges, amples, de plus en plus sûrs à mesure qu’elle prend confiance en elle et qu’elle s’éloigne des enseignements, des influences où ses pères (et mère) cherchent à la verrouiller. De tableau en tableau Berthe s’affranchit et la peinture avec elle. Au moment où Rimbaud commence à tordre définitivement le cou à la poésie de papa, Berthe met un terme à la peinture de maman (et ce n’est pas une plaisanterie quand on la voit ramer pour échapper à la présence pesante d’une mère peintre qui a lâché sa vocation pour celle de respectable femme au foyer, influençant au passage une sœur fusionnelle qui suivra ses traces).
C’est cette lutte dont témoigne le téléfilm de Caroline Champetier, porté par l’interprète de la peintre, Marine Delterme. Dix ans pour enfin mettre ce film au monde, et une actrice proprement habitée par le rôle, qui illumine la caméra avec ses timidités, ses rages de créatrice refoulée, empêchée, ses lumières de victorieuse quand elle neutralise les difficultés de la représentation, sa quiétude quand enfin elle acquiert l’équilibre et la reconnaissance sans pour autant se renier.
Et une vérité rétablie car cette femme fut bien la figure de proue de l’impressionnisme. Le téléfilm se termine juste après le salon indépendant qui consacrera la naissance du mouvement artistique, au moment où Berthe enfin se marie avec le frère de Manet, Manet qu’elle aime malgré tout et pour qui elle pose, dans une sensualité contenue que le peintre rongé de syphilis s’ingénie à rompre régulièrement avec son égoïsme de génie (magnifique Malik Zidi, qui nourrit cette ambiguïté fascinante).
La caméra de Caroline Champetier saisit les joies et les peines, les révoltes et les acceptations de ce parcours vers la maturité. Humble, dépouillée, simple et directe à la fois comme le fut la femme artiste du reste. Et autour du parcours de l’artiste, un tableau de l’univers artistique d’alors, des ateliers, des enjeux à l’œuvre, tourné comme une reconstitution fidèle (costumes, décors, personnages sont traités avec beaucoup de précision). Un superbe portrait qui illustre la vocation du film sur l’art dont nous parlions il y a peu dans le sillage des JIFA.
Aussi un énorme merci à l’actrice et à la réalisatrice de s’être obstinées ainsi, merci à France 3 d’avoir diffusé leur travail, car le résultat est beau et l’on regrette juste de devoir quitter Berthe au seuil de sa vie de mère, ignorant ainsi tout le travail qu’elle fit en représentant sa petite fille tant aimée. Car avouons-le, sévère, intransigeante, décidée, Berthe est aussi terriblement attachante.
Et plus si affinités