Perspectives documentaires sur le Génocide au Rwanda : les différentes facettes de l’indicible

L’horreur, il y a10 ans, il y a 20 ans, il y a 30 ans et ainsi de suite. Décennie après décennie, l’homme célèbre les horreurs du passé à grands coups de commémorations et de discours, de regrets et de flagellations. Le génocide rwandais n’échappe pas à ce phénomène, un peu comme un exorcisme public. Il a pourtant tout pour nous faire vomir de honte et de colère. Tout le monde savait, personne n’a rien fait pour stopper l’atrocité en marche, atrocité survenue 50 ans jour pour jour ou presque après la libération des camps d’extermination nazis.1944-1994 : cinquante ans pour rien en dépit des serments proférés par tous les politiques du monde entier : « Plus jamais ça ». Pourtant, c’est dans une totale indifférence ou presque qu’un million de Tutsis et d’opposants hutus ont été massacrés. Trente ans plus tard, il importe de se souvenir. De transmettre. De donner à voir cette mécanique de mort. À coup de lectures (parmi les nombreux ouvrages édités sur le sujet, ne faites pas l’économie de la pièce Hate radio), mais aussi de documentaires et de podcasts.

Rwanda, vers l’apocalypse

Il faut 1h10 aux réalisateurs Michaël Sztanke et Maria Malagardis pour revenir sur la genèse et le déroulement de ce génocide absolument abominable. Si la mort du président rwandais Habyarimana, abattu le 6 avril 1994 dans son avion par deux missiles, marque le coup d’envoi du massacre, les racines du génocide remontent aux temps de la colonisation du pays par la Belgique. Depuis 1959, les populations tutsis sont régulièrement exterminées par les hutus, avec le soutien plus ou moins affirmé des puissances occidentales, France en tête.

En 1994, c’est dans un silence assourdissant que tous assistent aux préparatifs du génocide, laissant faire malgré les nombreux signaux d’alarme lancés, qui par les militants des droits de l’Homme, qui par les responsables de la MINUAR, la mission des casques bleus de l’ONU en place au Rwanda pour superviser la mise en place des accords de paix entre le MRND hutu et le FPR tutsi. Le reste, on le connaît : d’avril à juillet, 1 million de morts, exécutés à coups de fusil, de grenade, de machette, de lance, de gourdin. Une horreur absolue racontée par l’artiste franco-rwandais Gaël Faye, décrite ici par des survivants, des témoins, des historiens, des politiques… et la conviction désormais que la France a une part de responsabilité lourde dans ce processus.

Chronique d’un génocide annoncé

Conçu en 3 parties, le documentaire de Danièle Lacourse et Yvan Patty creuse et complète Rwanda, vers l’apocalypse en y ajoutant un paramètre essentiel. la proximité temporelle. Sorti en 1996, cette enquête se construit sur des décombres encore chauds où les cadavres s’accumulent. les deux réalisateurs recueillent le récit de survivants sur les lieux mêmes de leur supplice. Et leur récit est d’autant plus effroyable que partout autour d’eux, des signes du massacre demeure, ruines, vêtements, traces de sang, ossements. Rien n’est laissé au hasard pour remonter le fil d’évènements sanglants dont on devinait la nature avant même qu’ils aient lieu.

Des archives dévoilent cet engrenage, la décision coupable de l’ONU de rapatrier la MINUAR, laissant des milliers de Tutsis sans défense face à leurs bourreaux qui attendaient le départ des casques bleus pour les assassiner. Les confidences des officiers en charge de la MINUAR sont saisissantes, de même les rélfexions des militants des droits de l’homme qui dénoncent par ailleurs les massacres commis également par le FPR tutsi. Deux questions sont posées : comment pourchasser les assassins ? comment reconstruire le pays après tant d’horreurs ?

Rwanda, à la poursuite des génocidaires

Dans ce documentaire d’une heure à peine, Thomas Zribi et Stéphane Jobert suivent les pas d’Alain et Dafroza Gauthier. Rwandaise d’origine, Dafroza a perdu une grande partie de sa famille durant le génocide des Tutsis. Depuis, elle et son amri n’ont de cesse de traquer les Rwandais qui ont participé au massacre et ont ensuite trouvé refuge en France. Problème : selon le droit français, ces personnes ne peuvent être extradées. Elles doivent donc être jugées par la justice française.

Cela implique de construire des dossiers très étayés. Pour ce faire, les Gauthier vont régulièrement au Rwanda depuis des années afin de rassembler preuves et témoignages pour faire traduire en justice les coupables. Un travail d’enquêteur particulièrement ardu, des investigations de longue haleine particulièrement délicates à mener dans un pays qui veut oublier, où aujourd’hui encore on découvre des charniers, où beaucoup ont peur de parler, de dire ce qu’ils ont vécu.

Cinq ans après le génocide des Tutsis au Rwanda

Composé de quatre parties, le podcast documentaire de Madeleine Mukamabano, réalisé par Medhi El Hadj et Rafik Zénine est mis en place 5 ans après le génocide pour questionner en profondeur la manière dont le massacre trouve son encrage dans la société rwandaise. Madeleine Mukamabano aborde son sujet avec une rigueur journalistique incontestable, donnant la parole à des spécialistes, des sociologues, de fins connaisseurs de l’histoire et de la culture rwandaise.

Elle donne à voir la véracité du massacre, l’horreur vécue, infligée, subie, au travers de récits proprement atroces. Ces anecdotes terrifiantes servent de socle à une réflexion sur le devenir d’un pays où victimes et bourreaux sont obligés de se côtoyer, où, malgré tous les efforts déployés pour nier les faits, leurs souvenirs sont là, rongeant les âmes comme un cancer. Chocs post-traumatiques, démence, la folie est encore là, qu’on tente de cacher. Pourtant, c’est toute la société, ecclésiastiques en tête, qui est corrompue. Comment exorciser cela ? Comment rendre justice ? Comment reconstruire ? Madeleine Mukamabano traque le visage caché du Rwanda post génocide jusque dans les prisons, les asiles, les campagnes les plus reculées, pour offrir un tableau édifiant de la tragédie.

Delphine Neimon

Posted by Delphine Neimon

Fondatrice, directrice, rédactrice en chef et rédactrice sur le webmagazine The ARTchemists, Delphine Neimon est par ailleurs rédactrice professionnelle, consultante et formatrice en communication. Son dada : créer des blogs professionnels. Sur The ARTchemists, outre l'administratif et la gestion du quotidien, elle s'occupe de politique, de société, de théâtre.

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