De nouveau, Gilbert Peyre investit la Halle Saint-Pierre. Exposition après exposition, l’électromécanicomaniaque y a conquis une place légitime, en tant que chantre d’un art volontairement décalé, d’une sculpture qui hybride la machine, le souvenir, l’objet usagé. Poétique de l’automate incarnant les rêveries humaines, tendres, douces et nostalgiques à la fois : l’artiste albertivillarien, souvent qualifié d’ingénieur des émotions, a bâti un univers où l’absurde se teinte d’une sensibilité tragique, la performance se décline selon une dramaturgie surréaliste. Les œuvres de Peyre, déroutantes, enchanteresses, interrogent notre rapport à la technologie, à la mémoire, et au corps humain dans une ère de plus en plus déshumanisée.
Une passion d’enfance
Né en 1947 à Paris, Gilbert Peyre a toujours été un esprit en marge, un créateur autodidacte explorant les frontières floues entre l’art et l’ingénierie. Sa passion pour la mécanique et les objets animés remonte à l’enfance ; rouages, engrenages, tout ce qui semblait pouvoir bouger de manière autonome l’ont alors subjugué et pour toujours. Mais au lieu de suivre une formation classique en art ou en ingénierie, Peyre a appris par lui-même, en bricolant, en récupérant, en donnant vie à des objets abandonnés.
Son parcours d’artiste s’est véritablement affirmé dans les années 1970, lorsqu’il a commencé à exposer ses premières sculptures mécaniques, des assemblages exprimant la manière dont la technologie complique la vie quotidienne, soulignant l’absurdité de la condition humaine. Ses créations sont des hybrides, entre machine et sculpture, entre art et performance, où le grotesque côtoie la poésie, où l’homme devient machine et la machine s’humanise.
Sculpture ou théâtre mécanique ?
L’une des particularités de l’œuvre de Gilbert Peyre est la manière dont il mêle l’art statique de la sculpture à la dynamique de la machine. Ses œuvres ne sont pas seulement à regarder, elles sont à écouter, à activer, à voir en mouvement. Grinçantes, cliquetantes, elles sont des « sculptures animées », des installations interactives qui s’inscrivent dans un monde où la frontière entre l’humain et l’objet se brouille.
Les personnages de Peyre — souvent des automates surréalistes, faits de bois, de métal, de pièces récupérées — sont mis en scène dans des performances mécaniques qui semblent tout droit sorties d’un rêve étrange. Ces créations, souvent à taille humaine, s’activent grâce à des moteurs discrets, à des circuits complexes, pour reproduire des gestes parfois absurdes, parfois pathétiques, mais toujours profondément humains. Il y a dans chaque mouvement une maladresse touchante, une poésie du raté, comme si ces êtres de métal et de bois cherchaient désespérément à imiter l’humanité, mais n’y parvenaient qu’en partie.
Univers mécanisé et condition humaine
Peyre crée des œuvres où l’absurde côtoie la satire sociale. Ses automates racontent des histoires, souvent tragiques, parfois humoristiques, toujours empreintes d’une réflexion sur le rôle de l’homme dans un monde de plus en plus technologique. Ses personnages, coincés dans des mécanismes répétitifs, paraissent prisonniers de leurs propres mouvements, rappelant ainsi les limites de la condition humaine dans un univers mécanisé.
Des figures récurrentes peuplent son univers : danseurs mécaniques, souris qui se balancent, robots aux gestes maladroits, marionnettes avides de communiquer. Ces créations évoquent la vie, la mort, le passage du temps, la difficulté d’échanger, de dire, de partager ; l’ironie est palpable, jamais méchante, toujours délicate. L’artiste semble nous dire que, malgré la sophistication de nos technologies, nous restons fondamentalement des créatures vulnérables, à la merci de forces que nous ne contrôlons pas.
Entre surréalisme et art brut
L’œuvre de Gilbert Peyre s’inscrit dans une tradition qui convoque à la fois le surréalisme et l’art brut. Comme les surréalistes, Peyre joue avec l’absurde, avec le détournement d’objets du quotidien, mais il le fait sans jamais perdre de vue l’aspect émotionnel de son travail. Chaque œuvre est une réflexion sur nos failles, nos désirs et nos échecs.
Mais il y a aussi dans ses créations une influence de l’art brut, ce désir, ce besoin impératif et salvateur de créer sans se soucier des conventions académiques ou esthétiques. Peyre n’a jamais cherché à plaire aux institutions ou aux critiques d’art. Son approche est pure, instinctive, guidée par une fascination pour les objets qu’il transforme et anime. Il utilise ce qu’il trouve, il répare, il recycle, pour donner naissance à des œuvres qui portent en elles une forme de naïveté et de brutalité sincère.
Mélancolie burlesque
Ce qui rend l’art de Gilbert Peyre encore plus unique, c’est sa dimension performative. Ses œuvres ne se contentent pas d’être exposées, elles sont souvent mises en scène dans des performances qui mélangent le théâtre, la danse et la sculpture (elles sont très présentes dans le film MicMacs à Tire-Larigot de Jeunet). L’artiste lui-même se considère comme un créateur d’un « théâtre mécanique », où ses sculptures animées jouent le rôle d’acteurs. Ces spectacles, à la fois burlesques et mélancoliques, captivent le public par leur étrangeté et leur beauté imparfaite.
Ses performances ont été présentées dans des lieux aussi prestigieux que le Grand Palais, la Maison Rouge à Paris ou encore le Centre Pompidou, mais aussi dans des galeries plus modestes, où son travail conserve toute sa dimension artisanale. L’artiste, fidèle à ses racines autodidactes, continue de travailler dans son atelier d’Aubervilliers, entouré de ses créations, bricolant sans relâche, toujours en quête de nouvelles machines à animer.
Un monde peuplé de machines qui respirent, qui dansent, qui trébuchent, et qui, malgré leurs mécanismes complexes, rappellent à chaque instant notre propre condition humaine. Avec Gilbert Peyre, l’absurde rencontre la poésie, la technologie devient le miroir de nos émotions. Cet ingénieur des sentiments, à chaque nouvelle œuvre, orchestre l’étrange ballet entre l’homme et la machine ; et, bien sûr, c’est la poésie qui triomphe, toujours.
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