La censure n’a jamais été notre tasse thé (et ne devrait être la tasse de thé de personne) :
parce que la liberté d’expression demeure un des piliers fondamentaux de la démocratie ;
nous sommes tous suffisamment adultes pour contempler une oeuvre quelle qu’elle soit avec le recul nécessaire, ou alors il faut vite vite revoir sa copie ;
la censure a vite fait de frapper tout et n’importe quoi sans distinction ;
censurer revient au final à mettre en évidence l’œuvre qu’on veut interdire ;
le scandale qui en découle inévitablement plonge les autres créations dans la pénombre.
Tandis que le légendaire Autant en emporte le vent focalise l’attention des foules à l’heure du #blacklivesmatter, entraînant le débat enflammé (au propre et au figuré) que l’on sait, un film demeure peu cité, qui en dit pourtant bien plus sur le racisme américain que le chef d’œuvre de Victor Fleming (qui du reste pourrait servir d’étendard à la cause féministe en consacrant une héroïne aussi émancipée que Scarlett O’Hara et en oscarisant la première actrice noire de l’Histoire Hattie McDaniel). Il s’agit du poignant Glory.
Le 54eme régiment du Massachusetts
Sorti en 1989, Glory évoque le destin du54eme régiment du Massachusetts. Ce dernier se distingua durant la guerre de Sécession : parce qu’il est le premier corps de l’armée américaine composé de volontaires afro-américains; parce que pour s’imposer, il a eu l’honneur d’aller se faire écharper en grande partie sur le raid de l’imprenable Fort Wagner. Pour la gloire. Pour démontrer que les personnes de couleur sont effectivement des personnes, pas des sous-hommes. Pour gagner un peu de respect, tout en montrant de la reconnaissance à un Lincoln qui venait de signer l’émancipation des esclaves.
S’inspirant de ce pan de l’Histoire de l’Amérique, le réalisateur Edward Zwick signe un long-métrage particulièrement prenant qui retrace la formation de ce bataillon sous la houlette d’un jeune colonel blanc joué par le juvénile Matthew Broderick, et le racisme que ces soldats en herbe essuient au quotidien dans les rangs nordistes mêmes. Car les membres de l’Union ne sont guère plus tendres que les Confédérés face aux « nègres ». Et le film s’émaille de séquences fortes où ces garçons tout juste échappés des fers de leur condition première, découvrent la dureté d’un monde militaire qui les tolère tout au plus, par démagogie plus que par véritable souci d’égalité.
Un récit d’une rare puissance
Un exemple parmi tant d’autres : le haut commandement nordiste interdit aux gens de couleur le statut d’officier, et il faudra la ferme conviction du jeune colonel Robert Gould Shaw pour faire nommer sergent le fidèle John Rawlins. Autre moment fort : la punition infligée au jeune Trip, dont l’escapade est considérée comme une désertion, une série de coups de fouet qui vient lacérer son dos déjà couturé de cicatrices infligées par ses maîtres quand il était esclave. Des instants émouvants comme ceux-là, le film en compte beaucoup, et j’ai souvenir d’avoir visionné ces images en larmes, un mouchoir à la main, tellement ces situations étaient insoutenables.
Il faut dire que le casting intensifie ce sentiment de déflagration émotionnelle avec un talent certain : outre Broderick cité plus haut, citons entre autres Cary Elwes, Morgan Freeman … et un jeune Denzel Washington à fleur de peau, qui crève l’écran. S’il prend quelques libertés avec la vérité historique, Glory n’en demeure pas moins pour l’essentiel un récit d’une rare puissance, qui en dit plus long sur le racisme ancré au cœur de la société américaine que le roman de Margaret Mitchell et sa célèbre adaptation cinématographique. Plutôt que de bannir cette dernière de leurs catalogues, certaines plateformes de VoD feraient peut-être mieux d’y inscrire Glory, et d’en faire l’énergique promotion.
Et plus si affinités