Qu’il soit de départ ou final, à la ligne, de suspension, d’interrogation ou d’exclamation, bien nommé ou critique, d’appui ou de mire, parfois de non retour, le point est multiple et varié. Il est l’occasion, pour qui veut bien s’y intéresser, de se concentrer sur le petit comme sur le grand. On pourrait le trouver dans le tout comme dans le pas grand chose. Et c’est ce à quoi nous invite l’artiste Johann Le Guillerm avec comme il la nomme «sa tentative pataphysique ludique» Le pas grand chose. Cette conférence de Johann Le Guillerm a pour mérite d’offrir différents points de vue sur le rien et le tout, sur son propre sac de nœuds qui mêle et emmêle le monde.
Tel un âne tirant une charrette, il entre en scène plein de «cette science de l’idiot» qu’il va nous faire partager. Lui qui a quitté l’école à 15 ans, illustre parfaitement par son parcours et ses indéfectibles recherches la pensée suivante : «j’apprends bien plus de ce que j’expérimente que de ce que l’on m’enseigne». Cette pensée, il l’a faite sienne en voulant justement créer son propre sac de nœuds lié au monde qui l’entoure. Adopter un autre point de vue que celui qu’on nous enseigne, nous transmet, nous impose, l’a conduit à autant de flou sur ces choses du monde. Mais c’est dans cette recherche intime qu’il éprouve le plus les choses jusqu’à s’en étonner, s’en moquer, ou perdre pieds. Le doute pour Johann Le Guillerm n’a d’intérêt que parce qu’il a été mis en confrontation avec une pensée, une expérience, une mise en mouvements, en lumières. Car si toute expérience permet de comprendre ou de désapprendre une chose, elle est bien la mise en mouvement d’une pensée et d’un corps.
La charrette-bureau constituant le plateau de jeu du conférencier (toute expérimentation semble n’avoir, pour lui, de valeur que parce qu’elle est mise en jeu de manière ludique), est à l’image de sa pensée et des découvertes dont il veut nous faire part. Munie de caméras fixées sur des axes métalliques, l’installation dotée de multiples tiroirs, suscite de par sa facture, notre curiosité. En costume cravate, Johann Le Guillerm est alors prêt à déployer les résultats de ses recherches. Les complexités auxquelles il a fait face et qu’il transforme sous nos yeux en évidences. De ces tiroirs de différentes tailles, il sort une variété d’accessoires permettant d’appuyer son discours et ses démonstrations sur le pas grand chose à l’origine du monde : «graphes compensatoires», «amas», «aalu», «architetra», «spires», «mantines», ou encore «irréductible» sont quelques uns des douze chantiers qu’il a répertoriés au cours de ces nombreuses années de recherche. Une recherche qu’il expose cette fois-ci à l’oral et dans une forme jamais expérimentée jusqu’à présent.
Que ce soit avec des bananes qui peuvent être bonnes et fortes (selon le nombre de rebonds qu‘elles effectuent lorsqu’on les lâche de leur hauteur, et lorsqu’on les mange), avec des pâtes serpentinis qui «savent faire des trucs», avec un vaporisateur d’eau qui met en mouvement de petits véhicules organiques, ou encore avec des découpes de peaux de mandarine… tout est propice à des découvertes à des visions nouvelles. Des formes se créent instantanément dès qu’elles sont mises en lumière et nous offre une vision déconcertante du monde des chiffres, des lignes droites et des lignes courbes, du groupe. Tout devient enjeu ludique à la découverte et laisse ainsi apparaître sa figure fractale. Surpris en permanence par l’acuité de cet esprit trouble, cet esprit qui n’entre dans aucun des tiroirs qu’on nous impose, nos croyances, certitudes, ou méconnaissances, sont sans cesse bringuebalées. Johann Le Guillerm donne le vertige tant sa pensée et son expérience du monde vous emportent loin en terre inconnue.
Pendant près d’une heure et demie (une heure aurait sans doute suffit pour faire l’expérience de ce corps-esprit marginalement unique), avec une voix très calme et monocorde qui incite à la plus grande attention, il défait des noeuds tout en en créant d’autres. Car à chaque fois qu’une chose lui apparaît, il s’interroge sur celles qui se cachent derrière. Le pas grand chose donne à voir et entendre une expérience du monde originale et surprenante d’un artiste qui ne l’est pas moins. Ce spectacle peut paraître à la fois âpre pour qui ne connait pas l’univers artistique, philosophique de Johann Le Guillerm, ou qui ne l’a jamais vu en corps dans ces soli de circassien, tout comme il peut être une invitation presque sensuelle, tant il fait corps avec les éléments, à rencontrer son travail et à comprendre comment la pensée de cet homme est mouvement sur un plateau, sous un chapiteau, dans une performance, une sculpture. Entrer dans cet esprit créateur est une intense aventure où il faut accepter de se perdre pour faire du pas grand chose une incroyable chose… ou pas.
Et plus si affinités