La dernière fois que nous en avons traversé les salles, c’était pour y découvrir l’exposition Raw Vision – 25 ans d’art brut:
La Halle Saint Pierre célébrait ainsi les 25 ans de la célèbre revue anglo-saxonne, 25 années dédiées à la mise en avant à l’international de la création populaire hors normes. Des pionniers salués par des pionniers : car c’est un fait, après deux décennies d’un travail laborieux, précis et patient, la Halle Saint Pierre est devenu le haut lieu de l’art brut en France avec des manifestations impactantes que nous avons pu chroniquer en leur temps, les expositions Hey ! 1 et 2 ou Banditi dell’arte.
Sans compter toutes les autres qui les ont précédées pour faire découvrir aux français les mystères et les richesses d’une sphère artistique protéiforme, occulte mais d’une incroyable prolixité. Art brut : art des fous, art des enfants ? Réducteur ô combien, et beaucoup trop facile, beaucoup trop confortable, faussement rassurant aussi. Des expositions orchestrées en ces murs, on ne sort pas indemne. Jamais. Car chaque tableau, chaque sculpture, chaque création mise en avant est un cri, un substrat de langage jeté à la face des visiteurs sans ménagement, ni considération esthétique.
Art thérapie ? Expression d’un handicap ? Là aussi il est trop facile de résumer ce vaste champ d’investigation à une lecture psychanalytique ou médicale. Et Martine Lusardy de chercher par tous les moyens à échapper à cette synthèse simpliste. Martine Lusardy, directrice des lieux, qui depuis des années œuvre à mettre en lumière les richesses de l’art brut. Malgré l’absence d’une définition établie, malgré des délimitations confuses, malgré l’absence de lois pour établir le statut de ces artistes qui n’en sont pas. Et nous débutons notre entretien sur cette inexistence, ce vide juridique : qui est le propriétaire des œuvres d’art brut ? La personne qui a réalisé l’œuvre même si elle n’a pas conscience de sa valeur marchande ? La famille de cette personne si cette dernière est jugée irresponsable ? L’hôpital où l’œuvre a pu être réalisée dans le cadre d’un atelier par exemple ?
Ce simple questionnement délimite l’art brut comme un véritable sable mouvant, un champs libre et sauvage que les acteurs économiques et institutionnels du marché de l’art doivent impérativement aborder avec un esprit responsable. Une éthique. Par rapport aux artistes et au public. Et Martine Lusardy d’ajouter qu’elle n’aurait jamais pu être directrice de galerie, participant certes à la cotation temporaire d’un créateur dés qu’elle expose ses œuvres aux yeux de tous, mais sans jamais vouloir confondre le rôle de commissaire d’exposition avec celui de marchand.
« A un moment il faut choisir » tranche-t-elle avec conviction. C’est ce qu’elle a fait, endossant le rôle de révélatrice de talents, participant elle-même au choix des œuvres, allant à leur rencontre au terme de voyages nombreux et toujours passionnés. Car c’est de passion qu’il s’agit, véritable et assumée, dont elle ne s’explique pas, embrassant cette réalité multiple de l’art brut car il est parole de l’âme, directe, vive et sans fard et non plus langage édulcoré de savoir vivre et dissimulateur des secousses profondes de l’être.
Une heure durant, elle va nous parler de ce territoire formidable et inquiétant, avec clarté, conviction et émotion, revenant sur les réalités de ce marché, sur la difficulté à exposer ce type d’œuvres en les rendant abordables sans pour autant les enfermer dans des explications scientifiques, soulignant combien cet univers remet en question l’art académique tel qu’on peut l’enseigner dans les écoles et dans les livres d’esthétique.
Cet échange serti d’anecdotes et d’exemples apportera des clés pour, sinon lire, mais du moins aborder et percevoir ce mode de créativité d’un œil beaucoup plus exercé et juste :
Halle Saint Pierre lieu de l’art brut : rencontre avec Martine Lusardy by Delfromtheartchemists on Mixcloud
Merci mille fois et plus encore à Martine Lusardy pour cette masterclass d’une rare clarté.
Et plus si affinités