C’est en soi un véritable événement. Après 20 ans de silence, Soft Cell sort de sa réserve avec un nouvel album intitulé Happiness not included. Une galette supplémentaire à ajouter à leur discographie, histoire de célébrer un 40eme anniversaire avec un titre fataliste, parfait écho à un univers glauque fait de quêtes amoureuses, d’émancipations sexuelles, d’expériences borderline, de solitude mentale.
« Tainted Love » de Gloria Jones à Soft Cell
Soft Cell : vous pensez ne rien connaître du tandem Marc Almond/Dave Ball ? Pourtant, vous avez déjà entendu/entonné « Tainted love ». Forcément ! Le morceau a fait un tabac à sa sortie, caracolant à la tête des charts 30 semaines durant ; on le retrouve depuis dans toutes les compils célébrant la new wave et les eighties, avant que Marilyn Manson ne se l’approprie. L’histoire est tordante, car ce succès phénoménal, Soft Cell l’a piqué à Gloria Jones, interprète initiale de la chanson originale écrite par Ed Cobb en 1965. Donc un texte de rupture initialement exprimé par une femme bafouée, formulé par le suave et ambigu Marc Almond, sur les rythmes métalliques martelés par Dave Ball derrière ses synthés.
Torch song et synth-pop à la mode cabaret
Le cadre est donc posé : c’est de torch song qu’il s’agira, lamento sentimental pleurant un amour perdu, porté au pinacle par Billie Holiday, Sarah Vaughan et Ella Fitzgerald avant que Almond et Ball n’en boostent l’étoffe frénétiquement avec leur synth-pop couplant electro et cabaret. Le talent du groupe explose de fait dans plusieurs titres bien plus mordants, dispersés au fil d’une discographie dont un Jean Genêt aurait savouré les zones d’ombre peuplées de putes au grand cœur, de marins bisexuels, d’assassins imprévisibles et de victimes masochistes : « Bedsitter », « Sex dwarf », « Where the heart is », « Numbers », « Say hello wave goodbye » « Le Grand Guignol », « Desperate » « Meet murder my angel » « The best way to kill »…
Une foi intacte
Saupoudrées sur Non-Stop erotic cabaret, The art of falling appart, The last night in Sodom (probablement l’album de Soft cell que je préfère), Cruelty without beauty, ces pépites rayonnent depuis quatre décennies d’un éclat pervers, la poésie ravageuse du groupe collant parfaitement à des mélodies corsetées avec autant d’énergie que d’émotions. Happiness not included vient donc réveiller la belle endormie ; restait à savoir si c’était un réveil en fanfare ou du réchauffé. Or il semblerait que Soft Cell sort de son long mutisme par la grande porte, avec une foi intacte, alimentée par les parcours en solo des deux anciens compères, qui ont du reste repris le chemin de la scène en 2018 pour un ultime show… suivi d’autres concerts.
Lucidité tranquille
Soft Cell for ever ? La voix préservée, la verve toujours aussi acérée, Marc Almond, revenu d’entre les morts ou presque, pose des textes à l’acide sur les mélodies ciselées de David Ball. Happiness not includedporte son lot de morceaux nostalgiques, l’expression des souvenirs (« Polaroïd » évoque Warhol, rencontré en 1981 au cœur de New-York), des désillusions (« Bruises on all my illusions », le constat navré d’une fin du monde proche) : « everything is dying all around me » souligne Almond sur « Heart Like Chernobyl ». Devant eux, dans leurs mots, leurs harmonies, la déchéance de l’humanité, sa course à l’abîme.Et Dieu dans tout ça ? « I’m not a friend of God » évacue la question en 4 minutes 34 superbes de lucidité tranquille.
La mort d’un univers
L’homme est seul, face à ses conneries, ses souvenirs, ses espoirs aussi. Pas une nouveauté en soi ; déjà les premiers morceaux du tandem le disaient. Quelle échappatoire ? L’art bien sûr, la création, la musique qui n’a pas d’ancrage temporel, contrairement à ce qu’on prétend. « Happiness Not included » et « Nostaligia Machine », notamment, évoquent avec majesté la fascination exercée par ces années 80, années paillette ultra-transgressives où tout était plus simple. Mais au final, qu’est-ce qui a changé ? Ce nouvel album applique la torch song made in Soft Cell à la mort d’un univers… ou à sa persistance forcenée ? Décidément, ce binôme emblématique, déjouant tous les pronostics de la vie et de l’oubli, trouve la tonalité appropriée pour exprimer les gâchis incommensurables et les certitudes inviolables. Intemporels définitivement.
Et plus si affinités
Pour en savoir plus sur le nouvel album de Soft Cell, consultez le site du groupe.