Certains patrimoines sont lourds à porter. La famille Graham va en faire la surprenante et douloureuse expérience, au lendemain du décès de Ellen, la mère d’Annie, emportée par une longue maladie qui tient du cancer, de l’Alzheimer et autres saloperies du même tonneau. Sauf que la vieille dame, réputée caractérielle et relativement marginale, décède pour mieux hanter ses proches, fille, gendre et petits-enfants, qui sombrent dans une culpabilité fatale … et totalement orchestrée.
Voici le pitch du cauchemar orchestré par le très inspiré Ari Aster qui concocte ici un film d’horreur d’autant plus efficace qu’il repose sur l’ellipse et le non dit. Or le non dit est un sport national pour la famille Graham qui s’ingénie à ne jamais se parler. Tout va bien dans le meilleur des mondes possibles, et il faudra plusieurs scènes ultra tendues pour prendre conscience des dysfonctionnements propres à ce clan qui s’ignore.
Abandons, suicides, folie, handicap, tout ce petit monde porte son lot de souffrances exaltées par la mort de cette grand-mère visiblement spéciale et qui continue de leur pourrir la vie à tous par delà la tombe. Et le peu de dialogue qui existait de se déliter, tandis que les tragédies s’accumulent dont on comprendra le sens véritable dans les dernières minutes de ce thriller psychologique irrespirable, qui s’abreuve des références Rosemary’s baby ou Ordinary People pour explorer les rouages d’une malédiction familiale dictée par une entité maléfique.
Et une personnalité perverse narcissique de grande envergure, dont on saisit les ténèbres au fil du récit. Pour le dire tout net, Mamie Ellen est la reine des garces, une Tatie Danielle démoniaque, un maxi modèle de manipulatrice et instrumentalise ses proches pour poursuivre son grand projet. Et c’est la grande force du réalisateur que de placer cette ombre au dessus de l’intrigue, de la faire transparaître en filigrane, dans les propos de sa fille, la très perturbée Annie incarnée par Toni Collette, dans le handicap de sa petite fille Charlie, troublante Milly Shapiro.
Dans le quatuor, les hommes sont en retrait, absents, soumis parce que domptés ? Des instruments dont on se débarrasse, mais qui contribuent à leur mise sous tutelle par leur déséquilibre, leur tolérance. Gabriel Byrne prête sa fausse quiétude au personnage de Steve, le père, le seul doué de raison dans l’asile qu’est devenue sa demeure, Alex Wolff fait du jeune Peter, l’aîné des enfants un possédé en sursis qui décroche très vite du réel, se retrouve happé par la mécanique qui l’a condamné dés les premiers instants du film.
Tous sont coincés dans leur maison comme les poupées dans les miniatures que Annie s’obstine à minutieusement orchestré pour y retracer les étapes de sa vie. Des maquettes qui en reflétant la terrible réalité de la mort et du malheur donne à voir la vérité de la tragédie à l’œuvre, où la fatalité n’a aucune part. La notion de sorcière, celle qui coupe et change le sort, prend ici toute son étoffe. Ainsi Hérédité rejoint L’Étrange cas Deborah Logan, The Witch ou The Jane Doe Identity pour repenser ce thème fantastique qu’on croyait éculé mais qui se révèle finalement riche de lectures et d’horizons particulièrement éprouvants.
Et plus si affinités