Disséquer l’émergence d’un cauchemar : c’est bien le propos du réalisateur Christian Duguay. Avec Hitler – la naissance du mal, ce dernier façonne un film dont on s’étonne qu’il ait seulement été destiné à une production télévisée suivie d’une diffusion en DVD. En effet, le sujet, ambitieux, et le casting de prestige qui le porte auraient mérité une sortie sur grand écran, à l’instar de La Chute de Oliver Hirschbiegel. Du reste, le long-métrage allemand complète parfaitement cette approche, détaillant la conclusion sanglante de cette folie dévastatrice dont Duguay analyse l’ancrage dans son opus.
Cristalliser les haines d’un peuple
On tremble en visionnant ces deux heures d’images consternantes. Le scénario met en évidence de manière flagrante comment se développe la démence hitlérienne, comment elle va submerger cet individu médiocre, rongé de frustration et d’envie, mégalomane et psychopathe, puis le dépasser pour pervertir l’entourage du futur dictateur, puis toute une population : car cette démence constitue le miroir des haines d’un peuple en pleine mutation sociale et politique, qui se refuse à tourner la page de son passé impérial pour embrasser un avenir démocratique égalitaire dont il ignore tout et qu’il refuse. Les idées d’Hitler vont cristalliser cette détestation, la façonner, l’orienter pour en faire la puissance dévastatrice nazie que l’on sait.
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Suprématie, pouvoir et contrôle
Le récit de Duguay reprend chaque étape de cette naissance maléfique portée sur les fonds baptismaux par des militaires enragés de leur échec, des grands industriels effrayés de la montée communiste, une classe dominante avide de conserver suprématie, pouvoir et contrôle. On pense par instant à la remarquable pièce de Brecht, La résistible ascension d’Arturo Ui, qui, en son temps, avait scruté ce même parcours. Le regard de Duguay se veut plus documentaire dans son approche, plus large, embrassant anecdotes intimes, péripéties politiques et manipulations secrètes d’un même mouvement.
Un produit de communication
On retient tout particulièrement, et c’est le plus intolérable, l’émergence d’un produit de communication, avec travail de l’image, de l’attitude, du logo et des costumes, une image de force charismatique, qui subjugue et fascine pour mieux cacher le vide du discours, la folie dramatique et coupable du projet proposé, de la société sordide qui insidieusement se dessine dans un flot d’intolérance et de violence. Robert Carlisle nourrit son interprétation du dictateur d’une fougue nerveuse incroyable qui restitue l’aura du personnage et cette sensation de conviction absolue, aveugle et fanatique qui conduira le monde entier à l’abîme.