Pour son entrée au répertoire de la Comédie Française, Eric Ruf a voulu booster la pièce de Feydeau par une équipe de choc. Ainsi, c’est l’actrice comique Isabelle Nanty qui hérite de la mise en scène avec le couturier Christian Lacroix dans son sillage à la scénographie et aux costumes. Un beau duo qui joue la carte des grands espaces et de la nostalgie des contes pour propulser une version misant sur le thème de l’amour déçu … au risque d’écorner la sacro-sainte rythmique du vaudeville, frénésie dont il ne faut ralentir la vitesse sous aucun prétexte.
Or l’approche ici proposée, portée par un casting de haut vol avec Anne Kessler, Michel Vuillermoz, Jérôme Pouly et Laurent Lafitte pour ne citer qu’eux, aurait tendance à freiner la course d’obstacles que constitue cet exercice de style. Et Dieu sait s’il y en a, des obstacles, et des gros encore, sur la route de Pinglet, constructeur de son état, affublé d’une épouse on ne peut plus acariâtre, et qui louche avec appétit sur la compagne de son ami et associé. En effet Monsieur Paillardin délaisse sa femme, qui lassée, décide de tenter la grande aventure de l’adultère avec Pinglet. Profitant du départ de leurs conjoints, nos deux tourtereaux rallient l’Hôtel du Libre Échange dont le patronyme annonce les activités pour le moins coquines.
Jusque là pas de souci : mais le malicieux Feydeau va placer sur la route des amants une expertise d’architecte, un ami bègue affublé de ses filles à peine pubères, un neveu collégien venu réviser la théorie des passions de Descartes avec la bonne de la famille, des fantômes, une descente de police et autres fantaisies qui vont transformer cette roucoulade en véritable cauchemar. Il va falloir beaucoup d’énergie, de volonté et un sens de l’impro particulièrement aiguisé aux héros de cette infortunée escapade pour se sortir de l’ornière. Ils y parviendront bien sûr comme dans tout bon Feydeau qui se respecte, mais en frôlant l’infarctus à chaque réplique, chaque péripétie. Or c’est cette rupture d’anévrisme latente qui manque très sérieusement dans la version ici développée.
Au contraire on serait plutôt dans l’hypotension, avec des dialogues qui se traînent quand ils devraient claquer, des jeux de scènes et des mimiques qui alourdissent l’action, on pense notamment aux attitudes de Mme Pinglet/Anne Kessler qui très vite évoquent les caricatures de Claire Bretecher, aux accents de Mr Paillardin/ Jérôme Pouly qui se calent sur la diction des Deschiens. Seul à littéralement exploser en scène au point de bouffer tout l’espace, Christian Hecq incarne Mathieu magistralement, avec le ressort et la démesure qui lui sont propres, imposant sa frénésie à chaque entrée sur le plateau. Il apporte une dimension autre, ce côté personnage de cartoon survolté, qui tranche heureusement avec les interprétations plus classiques du théâtre de boulevard.
On aurait aimé que l’ensemble de la pièce soit de cette facture, comme le laisse entendre par ailleurs la prestation de Laurent Lafitte, parfait dans son rôle de concierge d’hôtel borgne. Les passages chantés étaient-ils nécessaires ? Eux aussi participent d’un ralentissement de la cadence, et c’est bien dommage, car dés que le rythme est là, le spectacle devient irrésistible.
Et plus si affinités
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