Élysée détaillait leurs relations pour le moins troubles. Avec La vie et la mort de Jacques Chirac, roi des Français et Génération Mitterrand, Julien Campani et Leo Cohen Paperman traitent séparément ces deux figures emblématiques de la Ve République. Les deux pièces peuvent, doivent être mises en regard, car elles dialoguent parfaitement, rappelant par là-même la fonction initiatrice du théâtre, sa puissance politique. Explications.
La vie et la mort de Jacques Chirac, roi des Français
Originaires de Verdun, France profonde et zone économiquement sinistrée, deux copains d’enfance nés en 1989 reviennent sur leur fascination pour Jacques Chirac. Ils ont grandi sous sa présidence, ont baigné dans ce climat politique très particulier, ont découvert le jeu démocratique par ce prisme. S’interrogeant sur l’héritage laissé par cet éminent personnage, les deux narrateurs de La vie et la mort de Jacques Chirac, roi des Français en profitent pour fouiller le parcours et la personnalité d’un héros moderne bien plus torturé et complexe que ne le laissait penser sa bonhomie affichée devant les médias. L’occasion de dépasser le mythe pour dévoiler la réalité des jeux de pouvoir, et la profonde solitude qui l’accompagne irrémédiablement.
Jouant savamment sur l’improvisation, la participation du public, des vidéos évoquant le passage du temps, des événements, Clovis Fouin (absolument sidérant dans le rôle de Chirac) dialogue au fil de sa vie avec ses proches, son chauffeur, ses amis du RPR, ses opposants également (tous incarnés par un Julien Campani en mode caméléon). Nous voyons Chirac se tromper, mûrir, vieillir, atteindre cette stature de président qu’il a tant convoitée. En filigrane, c’est la France que nous voyons se modifier sous son règne, car c’est bien de règne qu’il s’agit. L’objectif de la pièce est de nous dévoiler ces coulisses, tout en réveillant les souvenirs de ceux qui ont connu cette période, mais aussi d’édifier les plus jeunes, trop petits pour avoir vécu ces temps.
Génération Mitterrand
Avec Génération Mitterrand, Julien Campani et Leo Cohen Paperman continuent sur leur lancée, en adoptant une méthodologie similaire. Comme narrateurs, trois personnages issus de la même famille, mais illustrant des appartenances sociales différentes : l’ouvrier militant, le professeur engagé, la journaliste à succès. Chaque personnage va raconter son évolution au cœur des années Mitterrand, ses espoirs, ses désillusions, ses choix, ses ruptures. Ces témoignages passionnés, alternent avec l’apparition presque spectrale d’un Mitterrand interprété par chacun des acteurs (Léonard Bourgeois-Taquet, Hélène Rencurel, Mathieu Metral, excellents). Le fil directeur ? La célèbre écharpe rouge qu’arborait l’homme politique, et dont chacun s’affuble pour nous faire revivre les temps forts de ces deux présidences, conquêtes, échecs, crises.
Par la voix de ce Mitterrand en marche vers la mort, par celle de ceux qui ont cru en lui avant de s’en détourner, écœurés et frustrés, on découvre, on ressent l’impact des tensions sociales, les clivages, les positions irréconciliables, les glissements qui se sont ancrés dans notre quotidien de 1981 à nos jours. « On ne fait pas l’Histoire sans le peuple» explique Mitterrand au détour d’une scène. Machiavel certes, Mitterrand apparaît ici pour le très grand homme d’État, visionnaire et cultivé, qu’il fut, laissant dans nos consciences une marque indélébile. Un prince à la Médicis, humaniste et éclairé, dont le règne a servi de terreau au paysage politique actuel.
Huit Rois – Nos présidents
De fait et très naturellement, ces deux portraits sont à relier. Ce n’est pas un hasard, mais une volonté, mieux, une stratégie. La vie et la mort de Jacques Chirac, roi des Français et Génération Mitterrand constituent les pierres fondatrices, le deux premiers volets d’une saga intitulée Huit Rois – Nos présidents, un ensemble en construction qui se propose d’explorer le destin et le positionnement politique de huit présidents depuis Charles de Gaulle jusqu’à Emmanuel Macron. Ce projet dramaturgique d’envergure s’inspire, cela ne laisse aucun doute, des drames historiques shakespeariens depuis Richard II jusqu’à Richard III, avec en ligne de mire les secousses de la guerre des Roses, les luttes intestines pour la couronne, l’affrontement sanglant des York et des Lancastre, l’avènement des Tudor.
En l’état, Huit Rois – Nos présidents compte explorer les coulisses de la Ve République comme une véritable saga des temps modernes : derrière ces politiciens désormais célèbres dont le visage et la silhouette incarnent le pouvoir en place et ses dérives, il s’agit de donner à voir les bras droits, les conseillers de l’ombre, les manœuvres secrètes, les opérations de communication, toute cette cuisine politique pas toujours reluisante, loin de là, de même que les objectifs à atteindre, les forces antagonistes qui s’affrontent, les enjeux contradictoires des partis, mais aussi des intérêts. Et puis, il y a nous, le peuple.
Réinvestir dans le théâtre comme éducation populaire
Le peuple, qu’on respecte ou qu’on méprise, mais dont on convoite le vote, sans forcément envisager son bien-être, son bonheurt. Julien Campani et Leo Cohen Paperman, par différentes astuces d’écriture et de mise en scène, stimulent chez leurs spectateurs ce côté « peuple ». Peuple, « demos » en grec ancien : l’élément incontournable, le socle de la démocratie, régime dans lequel tous les citoyens participent à la vie et aux décisions publiques de la cité. En interpelant les spectateurs, en les intégrant dans le récit de ces deux vies formidables, les auteurs interrogent la crédibilité démocratique d’une Ve République qui a tout d’une monarchie déguisée. Et ils restaurent la fonction pédagogique d’un art qu’on considère trop souvent comme un divertissement élitiste alors qu’il est une mode d’expression fondamental.
Le théâtre est un puissant vecteur d’éducation populaire. Ce n’est pas pour rien qu’on l’a tant censuré par le passé. Écrire sur Chirac et Mitterrand, mettre en scène leur montée au pouvoir, la fascination qu’ils exerçaient, qu’ils continuent d’exercer encore aujourd’hui, ce n’est pas seulement acter le fait qu’ils font désormais partie de l’Histoire. C’est aussi donner au public les outils nécessaires pour comprendre la situation politique française actuelle en fouillant les archives du passé. Un cours de géopolitique, en somme, particulièrement vivant, éclairant, drôle, impertinent, émouvant… A ce petit jeu, Julien Campani et Leo Cohen Paperman s’avèrent particulièrement pédagogues, sans jamais nous lasser ou nous égarer. C’est leur grande force. Vivement la suite de ces Huits Rois qui feront date dans la production théâtrale française.
Et plus si affinités
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