Des décennies après son assassinat, le Dahlia Noir n’en finit pas d’inspirer auteurs et cinéastes. Après avoir impacté James Ellroy et Brian De Palma, Elisabeth Short s’infiltre dans le juteux business des séries TV, passant par la première saison d’American Horror Story pour se droper dans le très récent I am the night, soit six épisodes abordant, sous couvert de nous raconter l’errance de Fauda Hodel, cette affaire sulfureuse qui lui sert de toile de fond.
Un grand-père étrange, insaisissable… et dangereux ?
Résumons le propos : nous voici dans le Nevada des sixties ; élevée par une mère pour le moins coercitive au sein d’une communauté noire où elle s’intègre comme elle peut, la jeune Fauna apprend par hasard qu’elle a été adoptée et que ses racines se trouvent en fait à Los Angeles, dans le sillage du brillant et mystérieux Docteur Hodel. Outre le choc de la nouvelle, la donzelle comprend alors qu’elle n’est pas la métisse qu’elle croyait être. Forte tête, elle prend la direction de la ville des anges pour en savoir plus et rencontrer ce grand-père étrange, insaisissable … et dangereux ?
Car s’il est un gynécologue riche, respecté, hautement influent, amateur d’art surréaliste et pianiste de génie, Georges Hodel a aussi la réputation d’être un débauché adepte de parties fines et des préceptes de Sade qu’il cite régulièrement en référence. Pire, sa propre fille Tamar, la mère de Fauna, l’a accusé d’inceste et de meurtres, notamment celui du Dahlia Noir. Innocenté au terme d’un procès plus que contestable, Hodel a exilé sa fille on ne sait où, ce que Fauna va chercher à découvrir à ses risques et périls.
Pour l’accompagner dans sa quête, le journaliste Jay Singletary. Violent, ivrogne et toxico, revenu traumatisé de la guerre de Corée, casse-cou impénitent, capable de tout pour un bon cliché … et qui connaît le dossier Hodel sur le bout des doigts, pour avoir enquêté dessus … et y avoir laissé sa réputation. C’est que Hodel a le bras long, la police de L.A. dans sa poche et pas un soupçon d’empathie. La carrière de Singletary n’y a pas survécu … jusqu’à ce que Fauna surgisse de nulle part pour causer des dommages irréversibles, à la manière d’une Electre moderne.
Un thriller haletant et malsain
De ce pitch alambiqué, la réalisatrice Patty Jenkins tire un thriller haletant et malsain qui respire son James Ellroy à cent pas. Police corrompue, émeutes raciales, racisme latent, jet set dégénérée, Fauna la candide, incarnée par l’angélique India Eisley, plonge dans ce bain de barbarie avec autant de crainte que de fascination… et un sens évident de la manipulation qu’elle semble avoir hérité de ce sulfureux grand-père auquel Jefferson Mays prête son regard froid, sa diction ampoulée. Quant à Chris Pine et ses airs faussement boudeurs, il endosse le rôle du journaliste incontrôlable et épris de justice.
À eux trois, ils mènent tambour battant cette enquête… qui s’appuie sur des faits réels, corroborés par les photographies exhibées en générique de fin, au terme de chaque épisode. Si le personnage du reporter est totalement fictif, Georges Hodel a bien existé, Fauna aussi dont l’autobiographie One Day She’ll Darken: The Mysterious Beginnings of Fauna Hodel est ici adaptée et scénarisée par Sam Sheridan sur les conseils de l’auteure et de son époux, par ailleurs parties prenantes dans la production. Est-ce à dire que Hodel fut vraiment le meurtrier du Dahlia Noir et que la série résout l’intrigue ?
Minute, papillon. Certes Hodel fit partie des suspects, et le livre L’Affaire du Dahlia Noir écrit par un autre de ses enfants, Steve Hodel, devenu policier à l’âge adulte, va dans le sens de sa culpabilité en agitant notamment la fascination du médecin pour la violence surréaliste (décidément sa descendance a des comptes à régler avec ce type). Une théorie réfutée par des analyses scientifiques et des comparaisons de planning, que Stéphane Bourgoin évoque avec précision dans son enquête Qui a tué le Dahlia Noir ?. Bref, il ne faut pas prendre la série pour argent comptant, mais la vivre comme une enième fiction inspirée par une réalité opaque dont on maîtrise à peine les contours.
L’exercice est réussi, la quête identitaire de cette gamine paumée alimente avec justesse une investigation complexe dont le principal suspect s’avère une personnalité aussi mystérieuse que menaçante, un minotaure dévorant et sans pitié, qui assimile art et meurtre sans vergogne. La force de cette série est donc de jongler entre fiction et vérité, d’apporter une lecture possible à un crime odieux qui a d’autant plus marqué l’inconscient américain qu’il demeure irrésolu, semble insolvable… mais possède une aura destructrice perpétuelle.