Zoom ce jour sur le très énergique I, Tonya signé Steven Rogers au scenar et Craig Gillepsie à la real. Un film qu’on peut qualifier de gifle cinématographique en pleine face !
Le portrait d’une nana hors du commun
Je passe sur le biopic racontant le parcours de la patineuse Tonya Harding depuis une enfance malheureuse chapeautée par une mère bourreau jusqu’à l’affaire Kerrigan qui lui a coûté sa carrière pour me concentrer sur ce portrait de nana hors du commun. La question au final n’est pas de savoir si l’athlète a trempé dans l’agression de sa rivale ; on ne saisira jamais vraiment qui a fait quoi ; en confrontant les témoignages de Tonya, de son mari, de sa mère et de leur soi-disant complice, le metteur en scène souligne cette opacité, en mode Chacun sa vérité de Pirandello. Il est par contre passionnant de voir cette fille issue du caniveau bosser comme une acharnée pour conquérir la victoire et la reconnaissance, puis la perdre comme une looseuse à la Zola.
Déterminisme social, quand tu nous tiens ?À ce compte-là, Tonya, c’est Gervaise ou Nana qui détruisent ce qu’elles accomplissent, car elles portent une trop lourde hérédité de misère. La séquence où la mère de Tonya lui explique qu’elle est dure et brutale avec elle parce que sa propre mère l’était et que c’est ainsi que ça se passe est pour le moins parlante. Et le rêve américain de voler en éclat sur ces belles et atroces paroles. Déchue, interdite de vivre sa passion du patinage, Tonya la battante se reconvertit dans la boxe, antithèse de la grâce et de la beauté. Mais finalement une évolution logique pour cette riot girl qui patinait comme on se bat, privilégiant le rock et la force à la finesse de ballerine de ses consœurs sur glace.
Tonya la surdouée, Tonya la maudite
Car la dame reçoit et rend les coups avec la puissance d’un poids léger, qu’il s’agisse de repousser sa brute de mari ou de s’imposer dans un univers qui ne veut pas de cette red neck. Eh oui ! Le patinage, c’est pour les petites bourgeoises qui peuvent s’acheter des costumes de scène et arrivent aux compets en manteau de fourrure. Tonya a à peine de quoi se payer un anorak et se traîne une mère grossière, qui règle les leçons de sa fille sur ses maigres émoluments de serveuse. Retirée de l’école pour pratiquer son sport à outrance comme un singe savant en quêter de médailles, Tonya se heurtera constamment à ce gap social, qu’elle ne comblera jamais, malgré l’exploit du triple axel.
Une malédiction qu’elle se traîne, la Tonya … et l’interprétation de Margot Robbie va dans ce sens. L’actrice australienne n’y va pas de main morte pour camper ce caractère explosif, en lui apportant des nuances insoupçonnées et assez viriles. Impressionnante, elle donne la réplique à une Allison Janney venimeuse à souhait dans son rôle de mère abusive : toutes deux ont raflé pas mal de prix tout à fait mérités, et il faut bien reconnaître que le film repose sur leurs épaules, prend sens dans cette confrontation constante, d’une violence inouïe, qui explique mieux le patinage de cette furie, sa volonté absolue, et éclaire des compétences qu’on a voulu étouffer.Car la question se pose en regardant se dérouler ce récit invraisemblable : et si le monde du patinage avait donné sa chance à cette gamine surdouée ?
Un autre visage de l’Amérique
Si on l’avait laissé patiner en mode warrior au lieu de la formater pour en faire une énième poupée Barbie qu’elle n’était résolument pas ? Si on avait joué la carte du rock (big up à la BO), des tenues plus simples, car moins coûteuses, mais plus appropriées, des chorégraphies plus variées, plus innovantes ? Tonya ne veut pas être une princesse, elle propose un autre visage de l’Amérique, et du même coup redéfinit la féminité très codifiée qui règne dans ce milieu. Autre scène sidérante : quand elle interpelle un juge pour comprendre pourquoi elle n’arrive pas à s’imposer, il lui répond qu’elle doit incarner les valeurs de la famille, le bonheur de la parfaite femme américaine.
Or ça, jamais la gamine ne l’a vécu.Elle est donc condamnée à échouer, dans un longue marche au calvaire qu’elle alimente d’elle-même, comme pour confirmer la logique de ces codes qui l’écrasent. Une marche au casse-pipe auto-géré que Gillepsie et son équipe relatent d’une main ferme, avec un montage ultra nerveux, un objectif sans concession, un cynisme évident. Même les séquences sur la glace n’ont rien du glamour habituel des diffusions télévisées. Exit le côté féerique, reste la dure réalité de la compétition avec soi-même, son corps qu’on pousse au-delà des limites, son mental qui flanche, son entourage qui mine la volonté, et le reste du monde qui fait toujours obstacle.
Et plus si affinités