Dans le paysage de la bande dessinée contemporaine,Les Indes Fourbess’impose comme une œuvre d’exception. Satire sociale, aventure épique, hommage au roman picaresque : Alain Ayroles et Juanjo Guarnido signent ici une BD ambitieuse qui sublime le genre. Publiée en 2019 aux éditions Delcourt, cette fresque baroque entraîne le lecteur dans l’Espagne du XVIIe siècle, aux côtés du fourbe et rusé Don Pablos de Ségovie. Derrière cette histoire de filou se cache une critique acerbe de la société de l’époque, qui fait écho aux préoccupations contemporaines.
Une épopée picaresque captivante
Le scénario s’inspire du roman anonymeLa vie de Lazarillo de Tormes, œuvre fondatrice du genre picaresque. Alain Ayroles reprend les codes du genre – un héros misérable, malin et opportuniste qui survit par tous les moyens et sans beaucoup de scrupules dans un monde cruel – pour les moderniser. Don Pablos est un antihéros prêt à tout pour s’enrichir dans une société gangrenée par la cupidité. Ayroles narre ainsi une aventure rocambolesque où chaque trahison, chaque subterfuge est une leçon de survie.
Le Nouveau Monde, où Don Pablos espère trouver fortune, devient le théâtre de ses désillusions. Cette quête effrénée de richesse dans des Amériques mythifiées par les récits d’or et de prospérité, s’avère une vaste mascarade. La critique de l’ambition humaine, aveuglée par l’appât du gain est omniprésente dans ce récit qui joue sur le contraste entre les promesses de l’eldorado et la brutalité des réalités coloniales.
Un chef-d’œuvre visuel
Si ce récit est captivant, c’est aussi parce queJuanjo Guarnido (à qui l’on doit la sérieBlacksad), en transcende les péripéties par un dessin éblouissant. Chaque case regorge de détails minutieux, recréant avec justesse l’atmosphère de l’Espagne du Siècle d’or et des colonies d’Amérique. Les décors somptueux, les expressions faciales hyperréalistes, les scènes d’action dynamiques offrent un véritable spectacle visuel.
Guarnido s’inspire des maîtres de la peinture classique espagnole, notamment Velázquez et Murillo, pour donner vie à son univers. Les couleurs chaudes et profondes évoquent l’art baroque, renforçant le caractère théâtral de l’œuvre. Ses compositions nous plongent au cœur de l’action, que ce soit dans les ruelles sordides de Séville ou dans la jungle luxuriante des Amériques. Chaque page est un tableau en soi, qui invite à une contemplation attentive des détails.
Une satire sociale d’une modernité éclatante
Les Indes Fourbesoffre par ailleurs une réflexion percutante sur la société. Ayroles dénonce les inégalités sociales, la corruption des puissants l’hypocrisie religieuse. Le monde dans lequel évolue le protagoniste est impitoyable ; seul l’art de la duperie semble permettre la survie. Cette critique sociale ancrée dans l’Espagne du XVIIe siècle résonne fortement aujourd’hui.
La recherche effrénée du succès au détriment de l’éthique, est une problématique intemporelle. L’ironie mordante du scénario accentue cette satire. Don Pablos est à la fois pitoyable et fascinant. Son cynisme, sa capacité à se réinventer dans l’adversité, ses échecs successifs en font un personnage complexe, qui oscille entre rire et tragédie.
En combinant récit d’aventure captivant, dessin somptueux et satire sociale acerbe,Les Indes Fourbescélèbre le 9ᵉ art tout en bousculant ses conventions. Couronnée d’un succès critique et public, cette BD magistrale rappelle que l’art graphique peut être à la fois divertissant et profondément intellectuel. Pour qui s’intéresse à la BD, à l’histoire ou à la littérature classique, c’est un incontournable !
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