« Ah Dedel ! Caca ce titre ! Nul, petit, facile !!!!!!!!!!! »
Certes mais pour être honnête je ne voyais rien de mieux que le nom de baptême du nanar eighties de Herbert Ross pour intituler ce reflet d’artiste consacré, vous ne l’auriez pas deviné, à la geste du groupe SUCCESS.
The ultimate dandies on earth ?
Et pour cause, outre le jeu de mot, tiré par les cheveux je le concède, ce charmant long métrage dédié à la réussite pour le moins contestable d’un jeune ricain déluré et débrouillard incarné par un Mickael J. Fox lui-même en pleine ascension professionnelle à l’époque coïncide sur bien des points avec le message véhiculé par le quatuor rennais, notamment la critique de la réussite facile, de la gloriole bling bling et des décalages de personnalité qu’elle engendre.
Le tout saupoudré d’un mauvais goût vestimentaire et m’as-tu vu (je crois qu’on ne s’est jamais aussi mal fringué que pendant les années 80, sinon peut-être à l’époque des cavernes, mais là on avait une bonne raison) que Mr Eleganz revendique à chaque apparition, n’hésitant pas à casser l’image du costard dandy par des cravates extravagantes tranchant sur des chemises à dessin, des chaussettes bleu sur un ensemble marron ou des tennis blanches avec un pantalon à pinces 30’s.
Mr Eleganz, le frontman emblématique, la tête pensante et parlante de la formation – Talking Heads m’était venu immédiatement en tête lorsque j’avais chroniqué leur album Social Network Junkies, à mon avis l’une des sorties les plus marquantes de l’année 2012, dans un horizon musical trop souvent sujet à la torpeur. Heureusement que nos chers petits bretons sont venus secouer tout ça, avec un projet pour le moins couillu ET intelligent.
Après quelques 368 écoutes et toujours le même enthousiasme quand résonnent les premières notes de « Electraw power », je me suis dit qu’il ne fallait pas en rester là et que je devais rencontrer ce monsieur, zut alors ! Petit mail, retour de la mangeuse, zim boum, rdv pris dans l’espace VIP du festival Rock en Seine, dont le groupe est un habitué et qu’il vient honorer de sa présence pour un set en forme de cadeau d’anniversaire.
Je rapplique le dimanche pour 16h, me mêle aux journalistes, artistes et invités importants, pour retrouver Mr Eleganz au civil, m’attendant dans la cohue, un journal en main en mode guide japonais rassemblant sa meute de touristes à la sortie du Louvre. Celle-là, on me l’avait pas encore faite, je le lui dis, on éclate de rire et c’est parti pour une heure de conversation avec des questions aussi alambiquées que
Artwork, présentation du groupe sur les réseaux sociaux, diction en mode gospel hystérique: en quoi avez-vous foi ? Quelle est votre mission sacrée ? Etes-vous musiciens ou prêcheurs ?
Ou
Quel est selon vous le comble de l’élégance ? Du mauvais goût ?
« Pollock influence aussi bien mon écriture qu’Iggy Pop »
Et les réponses de fuser comme des scuds car Mr Eleganz, outre qu’il pourrait prétendre au titre de « ultimate dandy on earth », a su s’équiper d’un background culturel plus que solide et varié : c’est que ce touche à tout compose, écrit, joue, peint, mixe, et fait de la DA depuis que le groupe s’est mis à la réal de son premier clip. Un homme complet ! Avec pareil bagage, et doté d’acolytes aussi volontaires que lui, le projet ne peut qu’avancer, ce qu’il fait du reste depuis 2007, année de formation suivie d’un passage initiateur aux Trans Musicales de Rennes. Les quatre loulous successiens se connaissaient du lycée où ils jouaient déjà ensemble puis la vie faisant, Mister Eleganz a choisi d’autres voies, plus classiques dira-t-on pour faire court et clair : « j’ai eu une autre vie, une vie normale, j’ai tout arrêté ».
Chassez le naturel … 10 ans plus tard, le guitariste Youl Reicher, qui n’a pas dételé, revient le voir, il veut faire quelque chose de nouveau, changer. Banco, lui répond notre dandy mais « pour être la plus grande star du rock’n roll sinon ça vaut pas le coup » ; ça c’est dit. Et pour ça il faut … un personnage. Or « c’est quelque chose qui manque terriblement dans le rock. Il n’y a plus de personnage » déplore l’intéressé en citant Bowie, Iggy Pop ou Dean Martin. Problème : ne pas se perdre dans cette figure, la contrôler à l’inverse d’un Marilyn Manson vite dévoré par son double. Mr Eleganz était né.
Allure faussement sophistiquée parsemée de fautes de goût détestables, signes incontestables de ces parvenus qui veulent briller et « s’habillent beau » en conséquence, quitte à se déguiser (le comble du mauvais goût selon le chanteur qui conçoit l’élégance comme « avoir ce petit plus mais on ne sait pas quoi ») : Mr Eleganz est « la concentration de tous les défauts de son marionnettiste puissance 1000 ». S’inspirant du parcours professionnel qu’il a vécu pendant ses 10 années d’absence, (claques et victoires comprises), il y mêle nombre de références artistiques pour générer la recette que l’on sait.
« Pollock influence aussi bien mon écriture qu’Iggy Pop ». Des références musicales, littéraires donc, cinématographiques, théâtrales ou picturales, croisant l’école du Montana, Burroughs, Bret Easton Ellis, Kurt Weill, Brecht, Ionesco, Camus, Becket, Lynch, Capra, Kubrick, les auteurs germanistes de l’Entre Deux Guerres, Dostoïevsky, les Monty Pythons, Desproges, l’expressionisme abstrait, Pollock et Bacon, Basquiat aussi. Il faut au moins ça pour travailler en profondeur ces thèmes chers au groupe que sont le non sens, l’instant, le rapport à soi-même, au corps, à l’âme, avec toujours en tête l’idée de surprendre.
L’art de surprendre
La surprise : voici la clé. Elle intervient dans le refus de choisir une influence, une coloration plutôt qu’une autre. Grands fans de musique, les Success digèrent ces sources et réussissent à en sortir un son qui leur est propre. Partant toujours d’un riff de guitare, ils vont ensuite y déposer les paroles (de l’anglais, une attirance naturelle nullement imposée par des choix mercantiles), écrites à 90 % dans l’instantanéité des répétitions, en impro, sur la base de thématiques récurrentes. En dehors de ces circonstances, Mr Eleganz dit prendre trop de recul, trop intellectualiser et perdre la spontanéité de l’inconscient, de l’écriture automatique (et une influence de plus à mettre à leur palmarès, j’ai nommé les surréalistes).
La surprise intervient également dans la construction d’un album pensé comme un livre avec une enfilade de chapitres dont le climax ne pouvait être que « The Psychanalyst ». 12 morceaux + un treizième à part dans l’évolution du groupe qui ne s’explique toujours pas comment « Girl from New Orleans » a percé ainsi. Et quatre autres tracks conservés bien au chaud, dont un, « Walking like a ghost » s’est glissé sur la version vinyle. Vinyle dont la logique deux faces a dicté l’emboitage des chansons : « Tell us » devait figurer en 3eme, 4eme position et « Social network » terminer une face, dixit Mister E. qui ne concevait pas les choses autrement et a développé l’orga à partir de cette donnée.
Surprise encore et toujours sur scène, où Mister E. se veut à la fois modèle et peintre, projetant ainsi mentalement « un tableau de Pollock en mouvement », le cadre scénique aidant à distiller sa feinte folie d’improvisateur, avec toujours cette montée dramatique faite de ruptures rythmiques, de cassures de registres, de variantes de style, jusqu’au morceau « The Psychanalyst » où le chanteur s’extrait de son costume comme d’une chrysalide. Le live est cathartique en diable, vécu comme s’il allait être le dernier – Carpe diem – posant de visu la question de ce que réussir signifie vraiment : « la réussite financière n’a rien à voir avec la réussite personnelle » disent en substance les Success qui nous tendent un miroir sur nos nudités cachées.
Rien à dire, rien à prêcher, que des questions : «Où en êtes-vous ? » « Que voulez-vous vraiment ? » Et un message à multiples niveaux de lecture ainsi « Electraw power », « Let me be » ou « Tell us » que chacun percevra différemment. La recette plait et pas qu’en France : ces messieurs tournent avec plus de facilité en Chine que dans l’Hexagone. « Il est plus rentable de jouer à Pékin qu’à Ramatuelle » me confie James E. qui considère les dinosaures de l’industrie musicale franco française avec un regard amusé : « C’est Fort Alamo !» constate-t-il, déplorant le manque de réactivité d’un secteur qui campe sur des positions qu’il conviendrait de remettre en cause au plus vite. Convaincu néanmoins que rien n’est perdu, les 4 n’hésitent pas à jouer la carte du off shore, tournant leurs regards résolument vers l’Asie (l’Indonésie, où le marché du disque n’est pas encore piraté, et dont l’économie explose) ou vers le pourtour méditerranéen, dixit leur participation au Pop in Djerba ! :
De la culture, de la créativité, du bon sens et pas froid aux yeux : avec semblables atouts dans leur manche, une tournée bien sentie et un nouveau clip qui sort en principe demain (suite à un malentendu, tout le monde a cru qu’ils tournaient avec Gondry, je vous dis pas le buzz, merci les réseaux sociaux !), ces messieurs n’en sont qu’au début de leur ascension, et il se pourrait bien que The Secret of my Success devienne prochainement Success Story.
Merci à Mr Eleganz pour son temps et ses réponses, ainsi qu’à la manageuse de Success et à leur label qui ont permis cette rencontre.
Et plus si affinités
Album : Success – Social Network Junkies