Los Angeles, 2030, par temps de crise économique bien tapée : taux record de sans-abris mendiant dans les rues, une grande partie de la population vivote comme elle peut, une minorité se vautre dans le fric. Autant dire que tout ce petit monde est prêt à n’importe quoi pour de l’argent. A fortiori quand il s’agit de récupérer le gros lot gagné par un élu transformé en proie à abattre. Voici le très intéressant sujet du délicieux Jackpot.
Spectateurs et gladiateurs
Signé Paul Feig, Jackpot brode sur le thème du jeu télévisé où un pauvre type se retrouve pris en chasse par des dingues qui veulent lui faire la peau devant des millions de téléspectateurs ; s’il survit, il gagne le gros lot. L’histoire est connue, l’objectif étant de dénoncer les clivages d’une société verrouillée où les masses asservies sont hypnotisées par les images dégueulant de leur télévision : exemples types, Le Prix du danger ou Hunger games. Sauf que le scénario de Jackpot introduit quelques variantes pas piquées des vers :
- Ici, c’est le gagnant de la loterie qui se retrouve à galoper comme un garenne pour ne pas se faire trucider, et à la base, il n’a rien demandé du tout.
- À ses trousses, l’ensemble d’une population de spectateurs improvisés gladiateurs, tous avides de s’enrichir, depuis le voyou jusqu’à la mère de famille, en passant par le petit commerçant du coin, l’ouvrier sympa, la coloc un peu coconne.
- Et pas beaucoup de monde pour aider, dans un univers surfliqué où drones et écrans pullulent, où la chasse à courre s’organise par smartphone interposé.
- Seul impératif : pas d’armes à feu (ce qui est un comble dans un pays qui encourage la vente généralisée de flingues tous calibres confondus) ; mais pas grave, il existe de multiples manières de mettre à mort le malheureux gagnant qui ne dure jamais très longtemps face aux hordes sauvages qui le poursuivent.
Petit pincement au cerveau
Ce qui devrait être le cas de la frêle et candide Katie Kim, venue à Hollywood dans l’idée de devenir actrice, et qui n’a pas 30 secondes notion de ce qui l’attend d’autant qu’elle se retrouve sélectionnée par accident et à son corps défendant. En toute logique, elle ne devrait pas tenir un round, mais un outsider s’invite dans le game : Noël Cassidy, security man freelance bien décidé à protéger la donzelle contre versement d’une infime partie de ses gains et un gros coup de pub. On fait sa réclame comme on peut.
À partir de là, le film tourne à la course-poursuite échevelée, parsemée de gags, de répliques bien senties, de combats chorégraphiés au scalpel et avec une maestria qui laisse pantois. Le tandem Awkwafina (décidément, quelle excellente actrice, promise à de très grands rôles) / John Cena (parfait pour le rôle, aucune fausse note, un sens du comique affûté) fonctionne du feu de Zeus, leur complicité est palpable, leur sens de l’autodérision savoureuse.
Et puis, de loin en loin, par petites touches bien rentre-dedans, une vision de la société américaine peu gratifiante, mais d’une rare justesse, car calquée sur le réel : les tentes de SDF devant les enseignes de luxe, les miséreux faisant chauffer leurs saucisses à l’entrée d’un restau gastronomique, les chambres de coloc dégueulasses, les pseudo-castings qui sont de vraies arnaques, tout y est et ça sent son vécu. Du coup, chaque éclat de rire se teinte d’un petit pincement au cerveau en mode : et si demain, c’était ça ?
Et plus si affinités ?
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