Rien de nouveau sous le soleil ? L’Histoire, comme la mode, est un éternel recommencement ? En ces jours de campagne présidentielle pour le moins houleuse où journaux et sympathisants n’en finissent plus de fustiger l’éclatement du camp de gauche, voir ou revoir Jaurès, naissance d’un géant permet de se rafraîchir la mémoire et de constater que la cohésion de cette famille politique a toujours été tâche délicate … mais élémentaire.
Le téléfilm de Jean-Daniel Verhaeghe, scénarisé par Jacques Kirsner et Jean-Michel Gaillard, date de 2005, pourtant son propos éclaire notre actualité d’un puissant faisceau, explicitant les racines d’un rassemblement idéologique initialement complexe, cependant essentiel. Pour réaliser cet exploit de synthétiser des courants de pensées, des revendications pourtant cousines, il fallait une figure marquante, hors normes, il fallait un Jaurès.
Ce tribun exceptionnel, on n’en parle que pour citer son assassinat, déclencheur d’une Première Guerre Mondiale qu’il avait tenté de toutes ses forces d’empêcher. C’est négliger le combat d’une vie entière, consacrée à conquérir la justice sociale, la laïcité, l’égalité pour tous, dans un monde en pleine mutation. Jaurès, naissance d’un géant revient sur la gestation de cette vocation, lorsqu’en 1892, le plus jeune député de France, futur fondateur de L’Humanité et de la SFIO, intervient dans la grande grève des mineurs de Carmaux pour épauler ceux-ci.
C’est alors qu’il comprend la nécessité de rassembler les mouvements socialistes épars, car l’union fait la force, mais aussi de tempérer les ardeurs révolutionnaires de certains, car la violence n’a jamais ouvert la voie de la négociation. Face à la colère légitime d’une population exploitée à la limite du concevable et de l’acceptable par une classe dirigeante sans vergogne ni scrupules, Jaurès oppose la force des idées, la puissance des arguments, la logique de la méthode et de l’organisation. Et la puissance totale des convictions.
Se syndiquer, se politiser, s’investir … apprendre, lire, se cultiver, ne pas céder aux provocations, rester dans les limites de la loi, lui et ses soutiens ont fort à faire pour établir un équilibre, éduquer les foules. Incarnée par un Philippe Torreton flamboyant et vibrant tout à la fois, la figure de Jean Jaurès s’érige tel un rempart protecteur, un portail vers l’avenir, un pont entre les individus. Alors que les ouvriers accèdent péniblement aux fonctions administratives officielles dont on les avait écartés jusque là, la lutte pour imposer l’esprit républicain est difficile et perpétuelle.
Qu’apprenons-nous de ce récit ? L’obligation de vigilance. Un siècle et demi plus tard, la situation n’a guère changé, encore et toujours une élite de l’argent veut dominer, confisquer le pouvoir, exploitant et écrasant une majorité qui n’a que le droit de se taire, … ce qu’elle ne fait pas. Les rouages démocratiques sont là pour enrayer ce phénomène, pour peu qu’on demeure attentif et actif à faire entendre ses protestations. Le phénomène se répète, dans le sillage de ce tsunami numérique qui implose les règles posées par la révolution industrielle précédente. Vigilants certes, actifs oui, organisés et cohérents ? Cela reste à voir.
Nous manquons de Jaurès, cruellement, comme de Zola, de Voltaire, de Hugo, qui guident et protègent, orchestrent dans diriger ni dicter. Qui réveillent les consciences, galvanisent les volontés, enseignent les stratégies, enclenchent le désir d’émancipation. Des semeurs d’idées. De ces puissants intellectuels au regard tourné vers le futur de l’humanité, en reste-t-il ? Espèce menacée ? Et si au final, nous acceptions le principe que nous sommes tous des Jaurès ? Car le géant n’aurait jamais rien accompli s’il n’avait été cru,soutenu et suivi.
Et plus si affinités