Aujourd’hui elle aurait 15 ans, et ses parents se contentent de simulations numériques pour imaginer le visage, l’allure qu’elle pourrait avoir. Madeleine Mc Cann s’est évanouie dans la nature un soir de mai 2007, alors que sa famille était en vacances au Portugal. Disparue, envolée tandis qu’elle dormait dans sa chambre. Un petit ange de trois ans, un mystère irrésolu … et une affaire judiciaire à l’aura internationale, médiatisée au-delà de toutes mesures. Un fiasco, ajouteront certains, dont la série documentaire La Disparition de Maddie McCann se fait l’écho huit épisodes durant. Avec plus ou moins de pertinence, loin s’en faut.
Des pistes angoissantes
Réalisée par Chris Smith dont nous avons apprécié l’énergique talent via le film consacré au Fyre Festival, cette chronique reprend par le menu une décennie d’enquête, rebondissement par rebondissement, et il y en eut beaucoup, on s’en doute. Toutes les pistes y sont donc abordées : accident, fuite de la petite, trafic humain, femme en mal d’enfant, prédateur sexuel solitaire, réseau pédophile, éventuelle culpabilité des parents … un panel angoissant qui permet d’explorer des réalités sordides dont on ignorait tout ou presque. La fresque qui s’ébauche d’une criminalité organisée spécialisée dans la vente de mineurs fait d’autant plus froid dans le dos qu’elle mobilise des organismes dédiés, dont on découvre ici la mission titanesque.
La série a par ailleurs le bon sens de mettre en exergue le rôle déplorable pour ne pas dire criminel d’une presse à scandale avide de sensationnalisme et prête à tout pour un scoop, quitte à en fabriquer un, à mentir, à raconter n’importe quoi. Nous avions déjà eu un aperçu de la force létale des tabloïds avec le film éponyme de J.B. Péretié, nous découvrons ici au travers d’un exemple précis de quoi ce type de média est capable, quitte à dévaster l’existence de particuliers qui y perdent tout, job, réputation, estime d’eux-mêmes, liberté. La question est du reste posée de la stratégie adoptée par les parents de Maddie qui impliquent immédiatement les journalistes pour diffuser l’information de la disparition, mobiliser les populations, récupérer la moindre info : un jeu dangereux qui se retournera contre eux.
Le brouillon émotionnel
Malheureusement, ce que le documentaire met en relief, il le noie dans une narration d’une longueur coupable. Étalés sur presque dix heures de programme, les épisodes n’en finissent plus de ressasser les informations et les indices, de répéter en boucle les mêmes données, les mêmes vidéos, les mêmes photos, de multiplier les flash back sans aucune précision. L’effet est déplorable, relève de l’amateurisme, annule l’exigence scientifique requise dans toute chronique judiciaire digne de ce nom. Là où une approche synthétique et thématique aurait clarifié un schéma déjà complexe et assombri par les bévues des uns et des autres (média donc mais également police portugaise, attachés de presse, politiques, détectives privés …), le mouvement de balancier passé/présent perd complètement le spectateur dans le fil des événements.
L’idéal eut été d’aborder les choses point par point : le contexte, les faits, le climat familial, les différentes pistes … bref un travail de tri dans ce véritable chaos où l’émotion est maîtresse. Or le documentaire joue à fond cette carte absolument contre-productive. La disparition d’un enfant est atroce, on imagine le calvaire enduré par les parents, mais le claironner en boucle et sans recul ne peut aider à y voir plus clair dans les faits. Pour cerner les problèmes, ils faut les extraire de cette atmosphère passionnelle où panique, chagrin, colère, frustration, rivalités, haine se mêlent. Or la série, en s’attardant sur des témoignages sans autre valeur que l’émotionnel véhiculé, plonge le propos dans un effet guimauve inutile, voire infantilisant. Là où il faudrait se concentrer sur du concret, on bat la campagne affective avec des personnes qui n’ont que peu à voir avec cette affaire, comme s’il fallait remplir l’espace et le temps, et tenir la commande imposée initialement par Netflix.
Rouvrir les plaies
Problème et de taille : à ce jour Maddie manque toujours à l’appel, décédée au pire, au mieux retenue contre son gré quelque part dans le monde. On continue de la chercher, inlassablement. L’affaire, un instant close, a été rouverte par les autorités britanniques et portugaises, se concentrant sur de nouvelles pistes … Ce documentaire aussi bancal qu’émotif vient se greffer au travail des enquêteurs, lançant un appel à témoin dés la première image du générique. Et rouvrant les plaies : suite à sa diffusion, le couple Mc Cann a de nouveau essuyé une pluie d’injures et de menaces, certains spectateurs étant convaincus de leur culpabilité dans la disparition de la petite et le faisant savoir brutalement via les réseaux sociaux. Pourtant il n’y a à ce jour aucune preuve tangible de leur implication. La série, par sa tournure, encourage donc des réactions épidermiques dont on se passerait bien, car elles n’apportent rien et épuisent des énergies qu’on devrait consacrer uniquement à retrouver cette gamine dont, si elle a survécu, on imagine le martyre quotidien.
Une ambiance malsaine qui évoque une autre affaire à sensation, le meurtre du petit Grégory, qui remonte régulièrement à la surface depuis plus de trente ans. Une autre énigme impliquant un enfant, où les parents furent suspectés, les média absolument odieux. En visionnant La Disparition de Maddie McCann, on pense automatiquement à cet autre ratage qui a frappé une famille, une région, et a fait lui aussi l’objet d’une volumineuse bibliographie ainsi que d’adaptations télévisées. A cette différence près que le true crime commandité par Netflix, se superposant à l’action de la justice, réveille de vieux démons, à la manière d’un Leaving Neverland, c’est à dire à partir de rien sinon d’un sensationnalisme infondé. On est loin de l’exigence quasi anatomique du remarquable Making a murder, dont les réalisatrices avaient déroulé le fil sur dix ans d’investigations. Un travail gigantesque absolument nécessaire pour une restitution digne de ce nom, surtout quand la vie d’un prévenu est en jeu.
On aurait aimé autant de discipline pour La Disparition de Maddie McCann: on ne le dira jamais assez, il ne s’agit pas ici de faire un enième succès d’audience mais de ranimer les mémoires défaillantes pour retrouver une enfant. Il n’y a que cela qui compte, et les équipes de réalisation qui s’attellent à pareil chantier doivent s’en souvenir à chaque instant car elles vont peut-être participer du dénouement de cette intrigue où des vies sont en jeu. La responsabilité est énorme. Il faut croire que Netflix a dû saisir cette problématique ; championne quand il s’agit de promouvoir ses films et ses séries, la plate forme s’est fait discrète quant à la sortie de ce nouvel opus. une soudaine prise de conscience ?
Et plus si affinités