Molière, l’année de son mariage avec la fille de sa maîtresse, écrivit L’Ecole des femmes. Quelle drôle d’idée, quand il y présente sous forme comique les absurdités de cette institution ? De quiproquo en stratégie, l’humour vient au service du discours misogyne, le destin fait bien les choses, l’histoire se termine bien.
Arnolphe choisissant de renoncer à son destin et élaborant une grande théorie sur les femmes, décide d’en choisir une dès l’âge de quatre ans, de la rendre stupide et laide pour qu’elle soit une bonne épouse. Une femme intelligente et belle est ainsi un danger pour un mariage fidèle. Cependant comme souvent dans Molière, l’arroseur devient arrosé, le brave Arnolphe est lui-même cocu et l’amour triomphe.
La mise en scène de Jean Liermier combine respect du XVIIème siècle et modernité. Le talentueux Horace revêtu d’un sweat à capuche incarne le souffle d’actualité de la pièce. Les décors simples et parlant nous enchantent, la voix off montre le mélange des genres, de la tragédie à la comédie Molière nous livre une légère tragi-comédie. Gilles Privat, Simon Guélat et Lola Riccaboni constituent un trio aussi surprenant qu’attachant, faisant vivre l’alexandrin et les grandes théories sur l’amour et la vie.
Arrivée dans ce si beau théâtre, je n’ai qu’une idée en tête : « Je n’aime pas la comédie». Le théâtre ce doit être de la passion tragique comme Racine ou de la littérature engagée comme Camus. Pour mon pauvre et simple avis, le théâtre est une catharsis révélant les plus grands sentiments de l’Homme pour servir l’art. Ici on n’est pas saisi aux tripes, on passe seulement un bon moment. Mais c’est sous estimer le grand Molière que de ne pas voir dans cette œuvre plus qu’une profonde morale, une vraie réflexion.
Tout d’abord le style ironique est au service d’un éloge de la femme. Le mariage est dépoussiéré, les sentiments triomphent. De plus peut-on considérer Arnolphe seulement comme un personnage stupide, simplet et manipulateur ? Dans Fragment d’un discours amoureux Roland Barthes pose la question du pourquoi et voila sa réponse : « En même temps qu’il se demande obsessionnellement pourquoi il n’est pas aimé, le sujet amoureux vit dans sa croyance qu’en fait l’objet aimé l’aime, mais ne lui dit pas. »
Sans être manichéen nous pouvons voir en Arnolphe chacun un trait de notre personne. La stratégie est elle toujours absente même des grands sentiments de l’amour ? N’a-t-on jamais eu peur d’être l’amant trompé ? N’espérons-nous pas construire l’autre comme un être à notre désir ? L’amour n’est il pas parfois une décision, un grand projet ? Alors qu’au début de la pièce, ce protagoniste, met chaque homme dans une case, il semble pour sa part échapper à tout type. Il relève ici de la conscience de chacun de se retrouver ou pas dans ce personnage touchant et drôle malgré lui. Et si sa solitude nous effrayait tellement qu’on préférerait le tourner en ridicule ?
L’Ecole des femmes est aussi une satyre des croyances infondées, les maximes du mariage récitées par Agnès sous les ordres d’Arnolphe ressemblent à une leçon de catéchisme. Les thèmes de l’enfermement moral, intellectuel et de la soumission féminine nous renvoient à l’importance de l’esprit critique. A l’image des précieuses du siècle de Molière, les femmes savantes loin de constituer un danger, semblent avoir un rôle à jouer dans l’évolution des mœurs. Cependant que peut-on en retirer aujourd’hui ? Le mariage n’est plus un contrat entre deux personnes pour un partage de bien, les femmes sont aujourd’hui encouragées à être à la fois belles et intelligentes.
Cette œuvre est elle démodée ? On pourrait le penser mais il suffit de s’assoir dans un fauteuil rouge, de se laisser bercer par les alexandrins pour découvrir que quatre siècles plus tard, les mêmes tourments nous animent, les mêmes sujets nous passionnent, la même passion nous fait vibrer. Le mari trompé, la ruse féminine et l’amoureux étourdi nous font croire en l’existence de vrais sentiments et nous donne envie d’être les précieuses d’aujourd’hui.
Et plus si affinités