En matière de vaudeville, on vous a jusqu’à présent surtout parlé de Labiche et Feydeau. Négligence ! Oubli coupable ! Et Courteline dans tout ça ? Spécialiste de la pièce courte et lapidaire, il complète la triade des spécialistes du genre avec une nuance de taille : si Labiche présente la niaiserie suffisante de ses contemporains, si Feydeau détaille les mœurs gentiment crapuleuses et grotesques de ses pairs, Courteline quant à lui donne délibérément dans le trash le plus absolu.
Pour preuve ce petit bijou de délire qu’est Les Boulingrin. Ce n’est pas pour rien si cette saynète ultra rapide (une demi heure, pas plus) fut jouée pour la première fois en 1898 au théâtre du Grand Guignol, temple du meurtre factice et de l’humour noir. C’est que Courteline y brosse une querelle de ménage qui manque de tourner au massacre domestique avec comme témoin, arbitre et victime collatérale le pauvre Des Rillettes, qui pensait intégrer le foyer de ces connaissances pour y nicher comme pique assiette.
Raté !!!! A peine installé dans la salle à manger à détailler le confort douillet des lieux, il voit débouler un doublon de furies se crêpant le chignon. Décidément le ménage Boulingrin bat de l’aile, s’insultant copieusement, à deux doigts de s’éviscérer avec férocité, et il le fait savoir au nouvel arrivant qui va en pâtir physiquement. Farce typique de la guerre des sexes … sauf que la mise en scène de Paul Vecchiali datée de 1995 explore le sujet un peu plus loin, faisant clairement ressortir le surréalisme affleurant dans le traitement du thème.
Bonne ivre morte, salon en feu, Des Rillettes volontairement battu et torturé, ambiguïté d’un couple dont on ne sait si au fond il n’adore pas terroriser ses visiteurs avec ce comportement de psychopathe, tout est fait pour tracer le lien avec ce grand chef d’œuvre de l’absurde qu’est La Cantatrice chauve, y compris et surtout la direction des interprètes Dominique Constanza, Gérard Giroudon, Bruno Raffaelli et Véronique Vella, de la Comédie française, qui se prêtent au jeu avec exultation.
Au cœur du processus, des répliques toujours plus cinglantes, dites sur une tonalité menaçante, qui tiennent à la fois de la confidence, de la complainte et de l’intimidation. On rit mais la violence est extrême, psychologique, verbale, et un brin tragique, car c’est ici le spectacle bien triste de deux personnes qui se haïssent à force de ne plus communiquer, mais n’hésitent pas à s’exhiber sans pudeur … pour se débarrasser d’un gêneur ? Qui sait ? Et c’est cette équivoque qui donne tout son piquant à cette lecture.
Et plus si affinités