Quelle belle audace de la part de la Comédie Française (on ne le dira jamais assez) et de son patron Eric Ruf de laisser libre cours à des auteurs inventifs. David Lescot en l’occurrence, s’est emparé d’un thème curieusement rarement abordé dans le théâtre ou même dans le cinéma, et plutôt casse gueule, celui de l’explosion des radios libres. Prétexte d’une foultitude de clins d’œil rétros délicieux (le mobilier en Formica, le téléphone à cadran, la clope omniprésente et les débats dignes des plus grands moments du « Droit de réponse » de l’époque), ces « ondes magnétiques » font revivre toute une période, bénie pour certains, de liberté et d’insouciance, mais aborde aussi le tournant de la gauche, et la déception des années Mitterrand. Un spectacle politique donc mais aussi militant assumé.
Un joyeux foutraque
Cela commence dans un studio improvisé sous les toits, une bande de joyeux drilles en tenue baba tentent de capter un signal pour diffuser leur émission sur les ondes de Radio quoi. En Mai 1981, François Mitterrand est élu, c’est le choc, la bande FM explose. Ces anarchistes en goguette vont devoir partager les ondes avec Radio vox, la voix des nantis, des libertaires et des clinquants. Un mariage explosif qui tourne vinaigre et obligera certains à renoncer à leurs idéaux pour se vautrer dans les années frics et Palace, d’autres à résister tant bien que mal aux sirènes de l’économie de marché.
Sur fond de pastiche nostalgique et sans concession des années 80, David Lescot réussit ce tour de force de ne jamais tomber dans la satire bien pensante (ouuuuh les vilains messieurs capitalistes) ou l’hagiographie dégoulinante pro révolutionnaire. Il fait au contraire ressortir des thématiques (ô combien encore vivantes) telles que la liberté d’expression, le monopole d’État, l’impact des annonceurs sur l’éditorial ou le cynisme politique. Ces « ondes » sont aussi et surtout le portrait drôle et sans concession de personnages qui ont marqués cette parenthèse enchantée, où la liberté de ton était de mise…. un joyeux foutraque où communistes, intellectuels, « amis de la terre » (parodié dans le spectacle avec une émission « Contre nature » hilarante) côtoyaient Giscardiens et hipsters de tout poil.
Une époque que les moins de 20 ans… que dis je ! les moins de 30 ans, ne peuvent pas connaître et qui fait en tout cas vibrer chez tout quarantenaire qui se respecte la fibre de l’enfance … et c’est avec une jubilation non contenue que le metteur en scène (aussi auteur de la pièce) s’est saisi de ce sujet : «A l’origine, je voulais écrire quelque chose sur le début des années 1980 en France. J’avais une somme d’impressions confuses et de souvenirs agréables, ceux de l’enfance. L’histoire des radios dans ces années là est un assez bon moyen d’observer l’époque. C’était un mélange très poétique de tout et de n’importe quoi, un désordre enthousiasmant, un libération illimitée, comme la conquête d’une terre vierge accessible à tous.»
Dehors les oiseaux de nuit… et champagne !
Touche à tout, David Lescot l’est incontestablement, mélangeant dans cet opus un peu fouillis mais au dynamisme communicatif, le documentaire (et il a mené comme à son habitude un travail de recherche impressionnant), le théâtre et même la comédie musicale.
Le dispositif scénique en bifrontal permet une immersion totale dans l’époque avec les 8 acteurs de la troupe du Français qui impressionnent de par leur jeu protéiforme (ils incarnent plus d’une quinzaine de personnages à eux seuls), et se saisissent avec bonheur de ce texte écrit pour eux (inoubliable Christian Heck en patron tyrannique et exubérant et en oiseau de nuit à fourrure, Elsa Lepoivre en animatrice à chemise fleuri est méconnaissable en dandy homo des soirées « bains douches »). Les acteurs portent avec la même ferveur cette insouciante décadence, quand en 1983 la publicité a pointé le bout de son nez.
Des 200 radios libres, il n’en restera plus que 18…. les révolutionnaires ont dû ranger leurs belles idées au placard, c’est l’heure des soirées interlopes à Radio Vox et des personnages aux allures inquiétantes sur fond de musique neo punk (gros gros coup de cœur pour la partition musicale créée par Anthony Capelli dans ce spectacle). Dans un final émouvant, la voix d’Higelin (qui est mort pendant les répétitions) résonne dans la salle du Vieux colombier et entonne comme une prophétie :
« La nuit promet d’être belle
Car voici qu’au fond du ciel
Apparaît la lune rousse»
«Que les damnés obscènes cyniques et corrompus
Fassent griefs de leur peine а ceux qu’ils ont élus».
CQFD…
Champagne !
Et plus si affinités
https://www.comedie-francaise.fr/fr/evenements/les-ondes-magnetiques17-18#