A savoir, la plus prestigieuse école de journalisme de France et d’Europe selon PPDA, le CFJ, Centre de Formation des journalistes, où le fondateur de Fakir entre par la grande porte en l’an de grâce 2000, avec l’âme d’un grand reporter, l’esprit engagé qu’on lui connaît, l’envie de marcher sur les traces de Zola, Albert Londres, … et d’immédiates désillusions qui vont rapidement prendre une saveur amère. Car le CFJ n’a pas pour vocation de former des observateurs du monde, mais de parfaits exécutants, qui pondent de la brève sans réfléchir, ni critiquer.
Étonnant ? Certes non dans un secteur ultra privatisé, où les grands noms de la presse ont été achetés/rachetés/revendus/agglomérés par des capitaines d’industrie qui doivent montrer patte blanche à des actionnaires préférant le rendement et la rentabilité à la véracité des informations. On donne donc au public ce qu’il attend, on fait dans l’immédiateté, surtout pas de style ni de singularité, de références sociologiques ni de lectures trop pointues, des contenus courts, racoleurs, de surface, « on est un quotidien, pas un magazine » !
On imagine la déconvenue des jeunes pousses journalistiques fraîchement sorties de Science Po (où on a déjà commencé à les formater dans la réflexion au lance pierre et l’analyse de façade) ou de fac +5, qui dés le premier jour se font laminer par leurs profs. C’est que le métier est rude, le chômage y règne, la précarité y fait loi ; donc on plie l’échine, il serait dommage d’avoir tant fait, tant sacrifié, pour se planter par excès de valeurs et d’éthique.
Seulement voilà : Ruffin, lui, c’est pas son truc. Il aime les livres, il aime s’enrichir, comprendre, il pose des questions, donne la parole à ceux qu’on n’entend, qu’on n’interroge jamais, dont tout le monde se fout. Fidèle à son ADN de poil à gratter, il décide de rester, non pour être formé, mais pour observer, de l’intérieur. Chapitre après chapitre, avec la rigueur analytique, le style direct et l’ironie qu’on lui connaît, il démonte les rouages de ce nivellement insidieux, interrogeant par contre-coup l’indispensable indépendance de la presse et de l’audiovisuel, la nécessaire formation intellectuelle des reporters, la main mise des communicants sur le secteur de l’info.
On comprend mieux le positionnement du bonhomme, qui aujourd’hui officie comme député après avoir imposé Fakir auprès d’indés tels Le Canard Enchaîné, tourné le magnifique et très rusé Merci patron !, qui défend bec et ongle les lanceurs d’alerte, les profils d’enquêteurs comme Elise Lucet. Les Petits soldats du journalisme, paru en 2003, annonce la lente dégradation d’un métier qui pourtant doit être défendu, préservé, car essentiel au processus démocratique. L’espoir viendra-t-il des webmagazines qui fleurissent sur la toile ? On peut s’interroger, vu le nombre de fake news qui s’accumulent, la bêtise crasse de publications qui confirment les théories chomskiennes d’abêtissement des foules.
Reste néanmoins que le web permet de s’exprimer, de débattre, de transmettre, peu importe la longueur et le format du contenu ; certains déjà sortent du lot pour définir les organes de presse engagés et indépendants de demain. D’autres s’appuient sur le financement participatif pour publier leurs investigations. Denis Robert continue de publier comme nombre de ses semblables, prêts à dire tout haut, avec talent et preuves à l’appui, ce que beaucoup pensent tout bas. Quinze ans après sa sortie, le témoignage de Ruffin est toujours d’actualité, mais il ouvre aussi la voie sur un avenir fait d’exigence et vérité.
Et plus si affinités
http://www.arenes.fr/livre/les-petits-soldats-du-journalisme/