Gros titres dans les journaux : la présidente du Parti Radical-Libéral-Social, désireuse d’entamer la course aux élections, cherche un homme de paille pour époux, histoire de se poser dans le paysage politique français. L’annonce fait grand bruit : Farlane et Salemèque, deux petites frappes feignasses et ladres, désireux de candidater à ce poste attractif, se présentent sourire aux lèvres et fleur à la boutonnière dans les salons de la Citoyenne Marie, afin de rencontrer et séduire la dame pour faire affaire.
Déjà l’intrigue semble complètement aberrante ; quand on sait qu’elle est de la blanche et coquine main de Feydeau, on comprend mieux et on s’attend au pire, car avec ce diable de vaudevilliste, les choses ne se passent jamais comme on l’attendrait, … En l’état la rencontre amoureuse va très vite dériver de façon cocasse, burlesque et déjantée. Car ces deux messieurs aux possibilités intellectuelles aussi limitées que leurs appétits financiers sont féroces vont se retrouver face à face … et chacun de prendre l’autre pour la prétendante ! A partir de là tout est possible, et Feydeau, ayant déblayé les limites du vraisemblable et de la bienséance chères à ce rabat-joie de Racine, s’en donne à cœur joie dans l’évocation mordante d’une petite bourgeoisie grotesque et inculte. La chose est d’autant plus sensible que L’Homme de paille annonce la longue cohorte de ces petites pièces en un acte qui condensent sur des situations d’engueulades ou de quiproquos la connerie crasse de la middle class de l’époque.
Ici l’auteur de On purge bébé, Mais n’te promène donc pas toute nue ! et Feu la mère de madame pour citer les plus célèbres de ces joyaux d’ironie pure, choisit la méprise révélatrice comme ressort de sa farce. Et quelle méprise puisque s’y mêlent les opinions politiques les plus inattendues aux sexualités les plus transgenres. C’est que le Paris de Feydeau était loin d’être prude et les messieurs/dames et les dames/messieurs y étaient légion bien que sévèrement réprouvés par la loi, mais très appréciés des bons vivants venus faire la noce dans notre capitale chérie, lieu de tous les plaisirs, inavouables tant qu’à faire. C’est cette ambivalence des moeurs et des mentalités dont se saisit Benjamin Moreau pour tisser la mise en scène actuellement à l’affiche du Lucernaire. Plateau presque nu cerné d’un rideau rouge, un canapé précieux, une psyché le tout encerclé d’une guirlande lumineuse qui délimite l’espace sacré du jeu (dans tous les sens du terme) : il n’en faut pas plus pour camper le salon de la cocotte où ces deux idiots, qu’interprètent avec juste ce qu’il faut d’excès et de folie Bruno Blairet et Frédéric Le Sacripan, vont échouer par erreur pour se lancer ensuite dans une danse de séduction où flatterie et vanité interviennent plus que le véritable attrait pour autrui.
La petite chanson gouailleuse qui introduit la pièce en dit long sur l’orientation de l’intrigue : « Je m’aime comme un fou ! ». Nos deux clowns en flirtant ensemble ne cherchent qu’à aduler leur propre reflet, et c’est tout leur égoïsme, leur individualisme dépravé qui ressortent de cette petite java d’amour aussi pathétique que risible. C’est qu’ils vont loin dans la veulerie, nos deux zozos, prêts qu’ils sont à vendre leur corps et leur âme pour ce job de feignant. Homos refoulés qui s’offrent le luxe d’un éphémère coming-out à l’occasion d’une méprise ? On pourrait le penser mais le véritable ressort ici, l’aliment de la pièce, sa raison d’être est un narcissisme fou, l’aveuglement et l’autosatisfaction de la bêtise telle qu’on la voit opérer dans toutes les comédies de Feydeau et qui en dit long sur le regard critique de l’auteur. Nous en rions, et c’est le but, car cela est désopilant autant que navrant.
Et plus si affinités
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