28 novembre 1973, 21 heures, théâtre Gabriel dans le château de Louis XIV : la bataille de Versailles commence très officiellement. Pourtant, depuis des mois déjà, le combat a débuté, agitant les coulisses de la mode à l’international. Ce sont les différents actes de ce duel historique que nous raconte Robin Givhan dans un livre captivant paru aux éditions Séguier.
Un duel qui ne dit pas son nom
Un des épisodes de la série Halston évoque ce temps fort de l’histoire de la haute couture mondiale ; le livre La Bataille de Versailles décortique 360 pages durant, avec un luxe de détails et d’anecdotes, ce qui constitue un véritable tournant pour l’industrie planétaire de la mode. Officiellement, il s’agit d’une invitation cordiale afin d’orchestrer un défilé de mode en deux temps, dans un lieu culturellement prestigieux, devant la jet set des cinq continents réunie. La première partie du spectacle mettra en valeur les collections de cinq grands couturiers français, Yves Saint Laurent, Givenchy, Cardin, Marc Bohan pour Dior, Ungaro ; le second acte portera sur les créations de leurs homologues américains, Bill Blass, Oscar de la Renta, Halston, Anne Klein, Stephen Burrows.
Homologues ? C’est bien là le problème. La France se revendique comme la patrie de la haute couture, les stylistes venus de l’autre côté de l’océan ne peuvent prétendre appartenir à ce panthéon. Il va donc leur falloir conquérir ce droit, au travers d’un affrontement sans pitié, où tous les coups sont permis ou presque. Et Robin Givhan de nous raconter avec énergie et précision le pourquoi du comment de cet événement d’anthologie, où s’affrontent deux conceptions de la mode et du style. Deux marchés également, haute couture et prêt à porter, mais aussi industrie à la française, respectueuse des traditions et du décorum versus production à l’américaine, moderne et pleine de fantaisie.
Faire exploser les codes du défilé
Boosté par Eleanor Lambert, première grande marketeuse de la mode USA et fervente supportrice des couturiers américains, la soirée s’organise pas à pas, obstacle après obstacle, sous nos yeux ébahis et amusés. Petite leçon de communication et de réseautage, tandis que les femmes les plus élégantes de la planète deviennent les ambassadrices de cette manifestation présentée comme unique, et qu’il va falloir penser comme un véritable show. Un show que les Américains vont devoir improviser, alors que les imprévus viennent impacter leurs plans, déjà très simples faute de moyens. Pourtant, ce sont eux qui vont marquer les esprits ce soir-là. Eux, leur manière de concevoir les vêtements et l’allure féminine. Et puis, il y a leurs mannequins.
C’est une armada de belles filles dont beaucoup sont issues des minorités ethniques qui déboulent sur la scène du théâtre Gabriel pour faire exploser les codes du défilé bien sage dans les salons des maisons de haute couture. Ces jolies filles ont une véritable présence, du charisme à revendre ; qu’elles marchent ou qu’elles dansent, elles font vibrer les tenues qu’elles portent avec grâce. C’est le cœur même de l’événement, ce qui en fera un tournant majeur : cette manière inédite et révolutionnaire de montrer le vêtement en action. L’auteur en profite par ailleurs pour détailler les attraits sociologiques de la mode dans une Amérique alors déchirée par la guerre du Vietnam et les conflits raciaux.
À lire également :
- Halston : Icare de la mode ?
- Fashion ! : de la haute couture à la globalisation du luxe, 30 ans d’histoire de la mode à la française !
- Condé Nast : La fabrique du chic… et l’aventure de Vogue
De toute évidence, La Bataille de Versailles est un véritable plaisir à lire et une mine d’enseignements et de références. Seule frustration : l’absence d’illustrations. Il reste cependant la précision de descriptions qui aident l’imagination et forcent la curiosité. Par ailleurs, ces pages constituent une véritable initiation à la stratégie marketing propre aux codes du luxe.