D’aucuns trouveront cet ouvrage daté de 1986 démodé, d’autres le considèrent comme un incontournable du genre, un véritable chef-d’œuvre. Cochons cette dernière option et savourons la biographie haute en couleur de Catherine de Médicis ou la reine noire. C’est qu’il y a beaucoup à dire sur cette Florentine honnie à tort, à qui ses opposants ont taillé un costume d’empoisonneuse et de sorcière qu’elle ne fût pas. Fort heureusement, Jean Orieux remet les pendules à l’heure.
Un portrait tendre et électrique
Nous voici donc en pleine Renaissance. Déjà à l’époque, la propagande allait bon train, les rumeurs aussi, alimentées par les cabinets noirs des différents régimes en place. Catherine de Médicis, en fine stratège, intrigue maintes fois, qui avec les ultra-catholiques, qui avec les protestants, pour conserver l’équilibre et l’aura d’une couronne dont le pouvoir vacille dans la tourmente des guerres de religion. Partisane de la diplomatie et de la séduction, psychologue avant l’heure, détestant le combat, la violence et leurs ravages, la souveraine ne se lance dans les conflits qu’en ultime recours, préférant de loin la tractation et le statu quo, moins coûteux en vies humaines, plus dignes et plus raffinés.
De cette petite bonne femme amatrice d’art et de chevaux, lectrice avertie, intellectuelle exigeante et passionnée, folle de sciences occultes, cavalière talentueuse et boulimique incontrôlable, Jean Orieux dresse un portrait tendre et électrique, qui nous emporte dès les premières lignes. C’est que la plume du monsieur est aussi belle que son regard est juste. Autour de cette femme exceptionnelle, qui dédia sa vie à son époux volage, à ses enfants qu’elle maria et couronna tous, à cette France d’adoption qui la critiqua malgré son engagement, on voit évoluer les Grands de l’époque, politiques, penseurs, artistes, dans une valse de créativité, un élan d’évolution et une horrible régression vers le chaos, que par tous les moyens Catherine de Médicis tente d’endiguer, avec une volonté sans faille.
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Un rempart et une passerelle
À chaque mot, la fascination de l’auteur est palpable, qui se laisse prendre aux rets de ce merveilleux fantôme, à qui nous devons l’apport de la fourchette, la monte en amazone, le violon, la Saint-Barthélémy et l’application des principes de Machiavel dans la gestion hexagonale. La Renaissance s’infiltre dans ses jupes de veuve, s’accroche à ses voiles sombres, au moment où l’Humanisme est emporté par la folie partisane d’épouvantables fanatiques dont les exactions vont entraîner le pays au fond de l’abîme, le ruinant pour plusieurs décennies. Régente, puis conseillère de ses fils couronnés, Catherine de Médicis sera un rempart en même temps qu’une passerelle, fidèle aux Valois et au pays qui l’ont faite souveraine quand elle n’était que l’héritière d’une famille de banquiers italiens.
Aussi haletante que le romancé Fortune de France de Robert Merle, la biographie de Jean Orieux se lit comme un récit d’aventure, un portrait de femme d’avant-garde, dont la modernité dicte encore les principes politiques actuels. Son parcours, sa formation, ses doutes, ses choix, encore trop souvent décriés, font pourtant date et constituent un formidable outil d’initiation aux arcanes du pouvoir, que chacun devrait parcourir avec intérêt et curiosité. À l’heure d’un #metoo généralisé, découvrir cette mafiosa érudite et fidèle, observer comment elle a pris en main le pouvoir, comment elle a gouverné contre vents et marées relève d’une leçon de féminisme avant l’heure.