Difficile d’évoquer le roman Profession du père sans lui ajouter Enfant de salaud. Paru en 2021, le livre de Sorj Chalandon creuse le passé d’un père mythomane et maltraitant, en se concentrant plus spécifiquement sur les années d’Occupation. L’auteur se lance alors dans une quête pénible, mais nécessaire dont il raconte chaque étape, listant les révélations sordides dans l’ombre du procès de Klaus Barbie. Un récit autobiographique puissant doublé d’une catharsis qui nous englobe tous.
La continuité de Profession du père
Dans Profession du père, Chalandon donne la parole à Émile, petit garçon devenu grand, qui raconte son enfance dans l’ombre d’un père mythomane, narcissique et brutal. Émile se rappelle notamment le jour où son grand-père paternel lui révèle que, pendant la guerre, son fils avait été du “mauvais côté” : “Ton père, je l’ai même vu habillé en allemand, place Bellecour… ”, ajoutant que le petit est donc un ”enfant de salaud”. Un “secret” doublé d’un “fardeau”, que Chalandon va s’efforcer de mettre à jour, au fil d’une enquête éprouvante.
Enfant de salaud affiche clairement la couleur dès le titre. Fini le personnage d’Émile qui servait probablement de paravent pour aborder à la fois cette histoire familiale douloureuse et les cicatrices émotionnelles qu’elle a engendrées. Désormais, Chalandon parle en son nom, assumant la colère, la fatalité de la folie : “quand mon père me battait, il n’était plus mon père, mais un Minotaure prisonnier de cauchemars que j’ignorais”. Maintenant, il faut aller plus loin et comprendre ce qui s’est passé pendant l’Occupation. Quitte à se confronter à l’intolérable.
Père mythomane vs Barbie tortionnaire
L’intolérable ? Un père collabo ? SS ? Tortionnaire ? Alors qu’il s’apprête à couvrir le procès de Klaus Barbie, Chalandon le journaliste décide d’enquêter sur son propre géniteur, pour savoir à quel point il a pu participer à l’horreur nazie. Connaissant un peu plus la psyché paternelle, il s’attend à tout… et il n’a pas tort. Car le parcours du papa de 1939 à 1945 a largement de quoi surprendre… et questionner. D’autant que ce père d’opérette s’invite au procès de Barbie comme s’il allait au spectacle.
Un procès terrible dont Chalandon rapporte les journées en les croisant avec sa propre recherche. L’effet n’en est que plus insupportable. D’un côté, le monstre sadique et sans regret qu’était Barbie, de l’autre ce père menteur et manipulateur. En commun, deux psychés désaxées, incapables d’empathie, sûres de leur bon droit. Une mise en regard effroyable, avec au centre les victimes : résistants torturés et assassinés, enfants d’Ysieu déportés et gazés, Jean Moulin sacrifié… et Chalandon fils, moralement crucifié entre ses convictions, sa honte et son amour filial.
Enfant de salaud est un tour de force, un dépassement de soi littéraire. Les récits sont rares qui relatent le procès Barbie avec en contre-point le parcours meurtrier de ce SS. En faisant le parallèle entre cette affaire et l’histoire chaotique du père, Chalandon ne créée pas d’effet, il raconte simplement des circonstances révélatrices d’une puissance implacable. “Change tes larmes en encre” lui avait conseillé un ami reporter alors qu’ils venaient de découvrir les charniers de Sabra et Chatila. C’est exactement ce qui arrive dans Enfant de salaud, et c’est ce qui fait de cet ouvrage un sommet d’émotion et un incontournable de la littérature.
Et plus si affinités
Pour en savoir plus sur le livre Enfant de salaud, consultez le site des éditions Grasset.