Une fois de plus, Jean Teulé, auteur béni de Le Montespan, Mangez-le si vous voulez, Fleur de Tonnerre et Je, François Villon déboule dans nos rubriques pour y droper sa plume hallucinante, de nouveau inspirée par les dérives les plus atroces de l’humanité. Cette fois-ci, il nous emmène à Strasbourg en 1518, dans une cité en proie à la famine et à la danse de Saint Guy.
Alors que la ville, menacée par l’avancée turque, est en proie à la sécheresse et à la canicule, que la nourriture manque cruellement, que les plus pauvres en sont réduits à manger leurs excréments et leurs propres nourrissons, une femme de graveur se met soudain à danser dans la rue. D’autres la suivent dans cette ronde qui deviendra très vite une gigantesque sarabande, où des centaines de danseurs extatiques cabrioleront à mort.
Le Diable à l’œuvre ? Ou le contre-coup du désespoir ? Tandis que les autorités s’interrogent, impuissantes, la frénétique farandole détruit les corps, emporte les âmes, et questionne cette société atroce où il ne fait pas bon être pauvre. Car l’évêque tout puissant et ses séides ont confisqué ce qu’il reste à manger et ne comptent pas se défaire des richesses ecclésiastiques pour sauver le bon peuple. Qu’ils crèvent, Dieu l’a voulu, c’est bien ainsi ! L’amour du prochain ? Pas grave, on s’en tape tant qu’on est protégé par son rang !
En 150 pages au scalpel, sidérantes d’horreurs déroulées dans l’ordure et la poésie, Teulé résume comme il sait si bien le faire la brutalité humaine, l’injustice sociale, la cruauté des puissants … et leur aveuglement. Tandis que les strasbourgeois se perdent dans cette rave party d’avant l’heure, le protestantisme creuse son sillon, bientôt concurrent de ce catholicisme âpre au gain, qui préfère le fric des indulgences à la sauvegarde de ses brebis.
L’auteur fait régulièrement référence aux délires techno des fiestas arrosées d’amphets et autres saloperies psychotropes pour évoquer cette transe collective post médiévale, à ce jour toujours inexpliquée ; mais son récit dessine par ailleurs les circonstances odieuses des rallyes de danse qu’Horace Mc Coy décrit dans On achève bien les chevaux, dont les concurrents, frappés par la grande crise de 29, se tuent d’épuisement sur la piste en quête d’une hypothétique récompense qui les tirerait de leur misère.
La danse est synonyme de libération, d’épanouissement du corps ? Ici elle traduit la folie, la rupture avec une conscience dévastée par les rigueurs du quotidien, une hystérie collective vécue comme un suicide de masse. Esprits fragiles s’abstenir, l’écriture de Teulé, d’autant plus virulente qu’elle est virtuose et lyrique, s’avère contagieuse, et vous laissera sans souffle ni espoir.
Et plus si affinités
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