Un titre pompeux, ne trouvez-vous pas ? Et pourtant tout ce qu’il y a de plus juste. Car les six sœurs Mitford naissent dans le tumulte de l’Entre deux guerres pour refléter chacune à sa façon les troubles de cette période cruciale où le monde va totalement se transformer. Et Ces Extravagantes sœurs Mitford, le livre de Annick Le Floch’hmoan le met particulièrement bien en évidence.
Nobles mais sans argent
Elles sont donc six, nées dans une famille de la noblesse britannique. Du titre et des terres de leurs parents, elles n’hériteront guère, qui sont destinés à leur seul frère. Il faudra donc en passer par la case mariage pour vivre et garder leur rang. Un mariage dans la bonne société bien sûr, si possible avec un aristocrate encore plus titré. Le champ d’action de Nancy, Diana, Unity, Jessica, Deborah et Pamela s’avère de prime abord restreint, leur avenir tout tracé. Seules les deux cadettes suivront ce chemin. Car le destin s’invite dans la ligne de vie des quatre aînées.
Les Mitford sont nobles mais sans argent. Nancy, la plus âgée, va devoir travailler pour survivre… elle deviendra une romancière célèbre. La seconde se mariera, divorcera, se remariera… avec le chef de file du parti fasciste anglais. La troisième deviendra une nazie convaincue, intime d’Hitler et fervente partisane de la paix entre l’Allemagne et l’Angleterre, avant de rater son suicide et de mourir prématurément. La quatrième fuguera pour partir faire la guerre d’Espagne aux côtés des Républicains et de son jeune anarchiste d’époux, avant de rallier les USA où elle embrassera la cause communiste, bataillant pour les droits civiques des noirs avant de briller dans le journalisme d’investigation.
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La volonté de faire tomber les tabous
Des parcours contradictoires, des perceptions du monde antagonistes, qui reflètent parfaitement les déchirements engendrés par la montée des extrémismes et des totalitarismes, ainsi que l’agonie d’une société obsolète. L’aristocratie ne se remettra pas de la Seconde Guerre Mondiale, ne retrouvera jamais l’insouciance du début du XXeme siècle. Et les Mitford sisters ont inconsciemment pressenti cette mutation. Cloisonnées dans une classe sociale aux codes absolument étouffants, elles transgressent, pour le meilleur et pour le pire, les règles qu’on a voulu leur imposer. Quitte à se tromper, et sans jamais rien regretter de leurs choix.
Immatures pour les uns, exubérantes pour les autres, elles ont en commun un sens évident de la liberté, la volonté de faire tomber les tabous, de conquérir leur autonomie, qu’elle soit amoureuse, intellectuelle, idéologique ou sociale. Quitte à prendre des risques totalement inconsidérés, elles saisissent la Fortune aux cheveux, en bien comme en mal. Sans se faire de cadeaux, versant souvent dans la critique et le persiflage, mais en restant toujours liées les unes aux autres au travers du temps, malgré leurs divergences de vue. Un véritable paradoxe qui n’est pas en lien avec les séismes d’une période dont elles incarnent les incohérences et la passion destructrice.
Avec beaucoup de précision et une plume accrocheuse, Annick Le Floch’hmoan restitue les parcours croisés de ces six phénomènes, comment toutes traversèrent l’Histoire et témoignèrent des métamorphoses de notre monde. Un récit passionnant, qui tient à la fois du périple amoureux à la Jane Austen, du roman de voyage et de l’odyssée politique.