La Fille de l’ogre : histoire d’une vie « malmenée et mal menée »

couverture du livre La Fille de l'ogre

Regardez-la sourire, un sourire éclatant, magnifique, celui de tous les espoirs, toutes les victoires, tous les bonheurs. Et pourtant, derrière ce sourire, tant de souffrances, de frustrations, de déceptions. Voici l’histoire d’une fleur d’or, une jeune femme mal née, porteuse d’un nom maudit, d’une destinée funeste. Voici l’histoire de La Fille de l’ogre.

Un destin de femme meurtrie

La Fille de l’ogre, c’est Flor de Oro Trujillo. Née en 1915 en République dominicaine, d’une petite paysanne douce, effacée, inculte et d’un voyou brutal appelé à devenir militaire avant de s’imposer comme le maître du pays. Un tyran manipulateur, violent, sanguinaire qui va tenir le pouvoir d’une main de fer trente ans durant. Une emprise terrible que subissent aussi ses proches, son épouse qu’il trompe régulièrement, cette enfant trop marquée par de lointaines origines africaines. Cette petite fille que celui qu’on surnommait « L’Ogre des Caraïbes » va continuellement sacrifier à ses intérêts, sa réputation, son image. Même quand elle sera devenue une jolie jeune femme, éduquée comme une aristocrate, mais vouée à un éternel destin de mineure.

Catherine Bardon évoque ce destin de femme meurtrie avec une plume passionnée, introspective, fidèle autant que faire se peut à ce personnage d’exception, dont les ouvrages d’histoire ne gardent pas la trace. Depuis la tendre enfance jusqu’au dernier souffle, elle reconstitue les méandres de cette existence malmenée, piégée par la figure d’un père toxique… et d’un amant qui ne vaut guère mieux. Car Flor de Oro va voir sa vie sentimentale mise à sac par neuf mariages voués à l’échec. «Deux hommes, un père et un mari, à l’amour nocif» : au côté de son père dictateur, on trouve le grand amour destructeur que fut Porfirio Rubirosa, LE playboy par excellence, redoutable séducteur qui inspira, dit-on, James Bond.

Une femme, une île

Une bien grande auréole pour un époux décevant, maltraitant, veule, menteur, qui la trahira maintes fois, mais dont jamais, Flor ne pourra vraiment se détacher. Et c’est là tout l’intérêt du livre que de questionner cette « vie malmenée et mal menée ». Car Flor n’a rien d’une pauvre petite fille riche qui se plaint alors qu’elle a tout. Quoi qu’il advienne, elle se tait. Sourit sous les coups de l’adversité. C’est clairement une victime, qui luttera année après année pour sortir d’une main mise paternelle aux allures d’inceste, rechutant régulièrement dans l’anorexie, l’alcoolisme, la dépression. Un véritable chemin de croix dont elle ne peut s’échapper, même à des milliers de kilomètres de Ciudad Trujillo.

Espionnée par les cerbères de son géniteur, elle est tenue en laisse, privée de toute ressource quand elle n’obéit pas, contrainte au mariage dès qu’elle tombe amoureuse, mise à l’écart quand naissent les demi-frères et sœurs que son père sème de liaison en liaison. Quelque part, elle devient une projection de son cher pays écrasé par la botte d’un monstre infatué de lui-même, d’une cruauté absolue, paranoïaque, bien décidé à conserver le pouvoir, même s’il faut en venir à la torture, au meurtre. Rondement mené, très complet, remarquablement écrit, La Fille de l’ogre culmine dans cette superposition, Flor devant une incarnation de cette île paradisiaque devenue un enfer. L’ensemble se lit comme une fulgurance qui en dit long sur les complexités de la maltraitance, l’atrocité du despotisme.

Et plus si affinités

Delphine Neimon

Posted by Delphine Neimon

Fondatrice, directrice, rédactrice en chef et rédactrice sur le webmagazine The ARTchemists, Delphine Neimon est par ailleurs rédactrice professionnelle, consultante et formatrice en communication. Son dada : créer des blogs professionnels. Sur The ARTchemists, outre l'administratif et la gestion du quotidien, elle s'occupe de politique, de société, de théâtre.

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